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Critique de Yaena


Liao YIWU est un citoyen chinois qui après avoir écrit un poème sur le massacre de la place Tiananmen fut torturé, emprisonné puis contraint de s'exiler en Allemagne. Dans La Chine d'en bas il redonne à ceux qui ont été trop longtemps censurés une voix.Il donne la parole aux oubliés du régime de Mao, à ceux que l'ont a voulu museler, faire disparaître. A travers les voix de ces invisibles c'est toute l'histoire d'un peuple qui renaît.

Liao YIWU dresse un tableau étonnant du peuple Chinois pendant la révolution culturelle entre folklore, vieilles croyances et idéologie poussée à l'extrême. Cela en devient kafkaïen, burlesque, absurde et terriblement triste. On peine à croire qu'une telle dérive a pu se dérouler sans que rien ne soit en mesure de l'arrêter.

Si l'idéologie de départ était d'amener plus d'égalité et d'améliorer la vie des plus pauvres, la réalité fut tout autre. Plusieurs axes ont animé l'idéologie communiste, l'un d'entre eux était de mettre fin à toute croyance religieuse et à tout référence à Dieu. de fait, le petit livre rouge à vite remplacé les textes sacrés et Mao a vite été érigé comme Dieu vivant qu'il fallait vénéré et dont la parole ne pouvait être contester. Les moines furent pris à partie, les religions éradiqués et toute forme de croyances ou de superstitions remplacées par le culte de Mao. Un non sens et une absurdité d'autant plus triste qu'une grande partie du patrimoine en a fait les frais. Combien de temples, de livres centenaires, de statuts, … ont été détruits ? A vouloir détruire le vieux monde, ils ont sectionné les racines d'un peuple et perdu des trésors du passé.

D'un point de vue économique la politique de Mao fut complètement dévastatrice également. Lors du grand bond en avant, il est demandé à tout le monde de produire de l'acier. Mais ça ne s'improvise pas et tous les efforts déployés et les objets sacrifiés pour être fondus l'ont été en vain. Et je ne parle même pas des arbres millénaires coupés pour alimenter les fourneaux. L'acier n'était pas exploitable car réalisé de façon artisanale sans aucun savoir faire. Une perte de temps, d'argent et d'énergie incommensurable. Il en va de même pour la politique agricole qui a imposé de manière empirique de nouvelles méthodes pour cultiver les sols qui n'ont mené qu'à la famine. Les paysans le savaient pourtant mais le dire aurait été s'exposer à la mort car on ne contredit pas le partie et son savoir.

C'est ainsi qu'entre 1958 et 1961 30 millions de chinois sont morts de faim. Un épisode douloureux de l'histoire de la Chine qui a donné lieu a des évènements encore tabous aujourd'hui : le cannibalisme. Celui ci a pris 2 formes différentes. La première est que les populations affamées se sont mises à manger de la chair humaine. D'abord les morts et puis ils ont fini par tuer les plus faibles. Certaines familles ont été jusqu'à échanger leurs jeunes enfants pour ne pas manger leur propre chair et pour nourrir les aînés et leur éviter la mort.
La seconde forme de cannibalisme est plus étonnante mais pas moins glauque. Il s'agit d'un cannibalisme déclenché par le fanatisme. En d'autre termes les ennemis du partie furent dévorés au sens premier du terme. Ces actes eurent principalement lieu dans la province du Wuxuan, on parle de banquets cannibales. Encore aujourd'hui le gouvernement chinois refuse de reconnaître que de tels faits se sont bien déroulés. Pas étonnant.

Le régime mis en place par Mao a mis à mal les fondations de la société chinoise dans son fonctionnement administratif, politique, culturel et dans ses relations internationales. Mais il a surtout déstructuré complètement les relations familiales et plus largement les relations humaines. Les sentiments et les ressentis n'avaient plus de place. Dans cette société martiale, tout était dicté par le parti : la conduite à tenir, les pensées à avoir… A coup de confessions, de dénonciations arbitraires, de camps de rééducation, de séances de dénonciations publiques les relations humaines ont été complètement détruites. Au final c'est une société faite de petits soldats apeurés et dévoués à la cause qui en est ressortie. le héros d'aujourd'hui peut devenir le bouc émissaire de demain. Il est interdit de raisonner il faut obéir, c'est le règne de la terreur qui se met en place, un véritable esclavage idéologique. Tout le monde surveille tout le monde, la vie privée n'est plus qu'un concept abstrait, un vieux souvenir. La population est terrorisée et constamment sur le qui vive.

Mais ce livre c'est aussi une découverte de la Chine dans ce qu'elle a de plus surprenant. C'est ainsi que j'ai croisé un pleureur professionnel, un lépreux qui n'en est pas un, un passeur de frontière qui veut juste passer la frontière mais pas quitter le pays, un embaumeur qui a tout du poète, un pilleur de tombe qui n'a jamais pillé quoi que ce soit, un chanteur de rue, ou mon préféré, un promeneur de cadavres. Mais qu'est ce que ça peut bien être un promeneur de cadavre ? Et bien c'est simple, les chinois considèrent que pour que l'âme soit en paix il faut être inhumé dans la terre qui nous a vu naître. Sauf que la Chine c'est grand ! Donc quand un chinois mourrait loin de sa terre natale, sa famille le faisait rapatrier. A l'époque pas d'avion ou de train mais des promeneurs de cadavres. le promeneur se mettait devant le mort et battait la cadence à coup de oh ho, oh ho, et derrière le cadavre suivait. D'un pas un peu raide certe, mais il suivait. Il n'était pas rare que ces promenades durent plusieurs mois. Mais comment faisaient-ils pour la décomposition ? Et comment ça le cadavre marche ? Et oui... il y a un truc mais il faudra lire pour le connaître !

Parmi tous ces représentants de la Chine malmenés sous Mao, l'auteur évoque les membres du Falun Gong. Ils sont présentés comme des pratiquants de Qi Gong persécutés et torturés par le pouvoir. C'est vrai. Mais j'ai regretté que l'auteur ne précise pas que le Qi Gong n'est pas une religion. Initialement le Qi Gong consiste en des séries de mouvements et de principes de vie destinés à garder les pratiquants en bonne santé. Chaque famille pratiquait le Qi Gong à l'époque et il y avait autant de Qi Gong que de famille. D'ailleurs le régime de Mao s'est, au début, appuyé sur ces pratiques pour garder le peuple en bonne santé à moindre frais, avant de décider de les interdire. le Falun Gong est en fait une dérive sectaire de la pratique du Qi Gong qui n'a plus rien à voir avec sa destination première. Son maître à penser, Li Hongzhi, véhicule d'ailleurs des idées surprenantes. Un mélange entre taoïsme, bouddhisme et physique quantique mêlé de préjugés le tout saupoudré d'un genre de puritanisme à la sauce Confucius et d'extraterrestres… ajoutez un peu d'homophobie et de racisme et voilà vous avez une vague idée de ce qu'est le mouvement. Ce n'est pas évoqué dans le livre et ça m'a un peu dérangé mais ce ne sont que quelques pages sur des centaines et on sort du thème évoqué qui demeure le grand dérapage de la Chine communiste de Mao.

Un livre passionnant qui se lit très facilement et qui est une source incroyable d'informations.
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