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Critique de HordeDuContrevent


Apaiser les blessures du passé…

« le convoi de l'eau » d'Akira Yoshimura est une pépite japonaise, un court récit de moins de 200 pages, totalement immersif. le narrateur, un personnage étrange, quelque peu violent, est sorti de prison depuis peu. Il avait tué sa femme à coup de bûches, devant ses propres petites filles, par jalousie, sa femme le trompant. Afin de fuir les lumières de la ville, trop vives pour son âme encore tourmentée, il s'engage dans un chantier de construction d'un barrage au fin fond d'une vallée isolée en pleine montagne où vivent des hommes et des femmes totalement coupés du monde.

« Au fond du ravin bordé par les versants dénudés de la montagne serpentait un torrent aux reflets métalliques. Et le long de cette eau resplendissante, nous apercevions tout en bas, discrètement blotti, le groupe de maisons dont nous avions entendu parler. le hameau existait bien et se trouvait réellement à nos pieds ».

Une vallée nimbée de brume, constamment noyée de pluie, d'un calme apaisant, qui n'est pas sans lui rappeler les murs humides de sa prison dans laquelle paradoxalement il a vécu ses années les plus propices à la réflexion et à la méditation.
Le barrage à construire conduira à submerger le hameau et donc contraindra la population à l'exil, population avec laquelle les ouvriers ne se mêlent pas. Et en effet, les deux camps s'observent, se regardent, les ouvriers sont fascinés par le calme, l'organisation, la persévérance et la discipline de cette communauté humaine malgré le sort qui les attend …frontière bien étanche entre les deux groupes, les ouvriers restent entre eux, les habitants du hameau entre eux, chacun vivant de son côté sans se côtoyer… jusqu'au moment où un ouvrier abuse d'une jeune fille du village. Cet incident aura de lourdes répercussions et va perturber notre narrateur.

« le souvenir du visage de la fille empreint de honte me faisait ressentir la douloureuse solitude des femmes. Même si elle avait été violée, à partir de l'instant où elle avait cédé, le poids de l'homme s'était-il installé à demeure tout au fond de son corps ? ».

Cet homme se sent en symbiose avec ce hameau et d'étranges échos, telles des réminiscences, vibrent en lui. Comme ce jour émouvant où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines » afin de les placer dans de petites boites dans la perspectives de l'engloutissement de la vallée, de son côté le narrateur nettoie les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison. Cinq petits orteils qui cliquètent dans leur boite au fond d'un sac à chaque pas du narrateur, lui rappelant sans cesse son crime.
Son acte fut un acte de vengeance extrême et inouï pour profaner sa tombe et lui faire du mal même au-delà de la mort, alors que les villageois témoignent au contraire d'une immense dévotion et d'un profond respect pour leurs morts. le narrateur est ainsi conduit à réfléchir de nouveau à son comportement. La symbiose et la connivence vont s'amplifier après l'incident, il va alors faire preuve de beaucoup de sang froid, de courage et d'humanité, apaisant les blessures, immenses, du passé, reverdissant son âme noire.

« Dans cette gorge constamment ravinée par la pluie, la vitesse à laquelle germaient les bourgeons printaniers était stupéfiante. Au début c'était comme si tout se couvrait vaguement d'une fine couche de poudre vert-de-gris, mais de jour en jour la couleur devenait plus foncée, et bientôt les couleurs fraiches du feuillage printanier se répandaient dans toute la vallée ».

Au-delà de l'histoire personnelle de cet homme, le livre traite d'un sujet délicat, celui de l'expropriation d'habitants d'un village installés sur cette terre depuis des centaines d'années en contrepartie de grosses sommes d'argent dont ces gens, coupés de l'extérieur, n'ont que faire ou ne sauront pas bien utiliser. Les chasser, c'est ainsi les condamner à mort.

Et si cette vallée n'était-elle que symbolique ? N'est-elle pas représentative des tréfonds de l'âme de cet homme ? Les tombes du cimetière, nombreuses et surdimensionnées, ne représentent-elles pas l'obsession du narrateur pour la tombe de sa femme ? Et si ce convoi de l'eau n'était au final que le convoi de son âme vers la rédemption ? La construction du barrage, la construction de ses propres barrières afin d'arriver enfin à expier l'horreur orchestrée ?
Telles furent les questions que je me suis posée à la lecture de ce beau livre très poétique dans lequel nous avons, nous aussi, l'impression de flotter dans une brume légère d'où brillent des moments de beauté suspendus inoubliables. A noter une fin sublime que j'ai parcourue bouche bée…oui inoubliable !

« L'air au-dessus du hameau était pur, les mousses des toits brillaient de couleurs vives comme des algues vertes. Et dans les rayons lumineux du matin, il s'en élevait un peu de vapeur qui semblait ramper ».
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