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sur 586 notes
Un personnage étrange, le narrateur, une vallée mystérieuse, difficile d'accès, perdue dans la brume quelque part au Japon.
Il est sorti de peu de prison et s'est engagé dans un chantier de construction d'un barrage dans cette dite vallée, où vivent des hommes dans un hameau isolé de toute civilisation. Une vallée qui avec son calme et son humidité considérable lui rappelle les quatre murs de sa prison et son passé peu reluisant. Bien qu'ayant une mystérieuse fascination pour la lumière, qu'il éprouve depuis l'enfance et qui lui donne la sensation réelle de paix, paradoxalement, dans cette vallée sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard, il s'y trouve bien. La suite le renforcera, liant son destin à celui du hameau condamné.
Alors que les travaux commencent, s'initie une étrange dynamique entre les habitants du hameau et les ouvriers du chantier. Notre homme observe, le coeur violemment remué par le calme et la discipline de ces habitants qui ne cillent pas face à ces ouvriers venus détruire leur hameau et qui sera bientôt enseveli sous l'eau. Bien qu'un terrible incident chamboule temporairement cette dynamique, les habitants, impassibles, continuent à vivre à leur manière......
Un sentiment de malaise indéfini pèse sur cette histoire qui semble hors du temps. Un sujet révoltant : de quel droit peut-on exproprier les habitants d'un hameau de montagne installés sur une terre depuis quelques centaines d'année, on leur donnant simplement une forte somme d'argent pour quitter les lieux.....ces gens qui ne sauront comment utiliser cet argent pour planifier leur futur ?
“Les chasser de la vallée équivalait à les condamner à mort .”........

J'ai lu et relu les dernières pages, retenant mon souffle, la gorge nouée....
Un texte magnifique d'une noirceur et d'une poésie infinies. Glaçant et Sublime !


“Les silhouettes des habitants du hameau genoux fléchis se diluèrent comme de l'encre de Chine dans la brume”.
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Apaiser les blessures du passé…

« le convoi de l'eau » d'Akira Yoshimura est une pépite japonaise, un court récit de moins de 200 pages, totalement immersif. le narrateur, un personnage étrange, quelque peu violent, est sorti de prison depuis peu. Il avait tué sa femme à coup de bûches, devant ses propres petites filles, par jalousie, sa femme le trompant. Afin de fuir les lumières de la ville, trop vives pour son âme encore tourmentée, il s'engage dans un chantier de construction d'un barrage au fin fond d'une vallée isolée en pleine montagne où vivent des hommes et des femmes totalement coupés du monde.

« Au fond du ravin bordé par les versants dénudés de la montagne serpentait un torrent aux reflets métalliques. Et le long de cette eau resplendissante, nous apercevions tout en bas, discrètement blotti, le groupe de maisons dont nous avions entendu parler. le hameau existait bien et se trouvait réellement à nos pieds ».

Une vallée nimbée de brume, constamment noyée de pluie, d'un calme apaisant, qui n'est pas sans lui rappeler les murs humides de sa prison dans laquelle paradoxalement il a vécu ses années les plus propices à la réflexion et à la méditation.
Le barrage à construire conduira à submerger le hameau et donc contraindra la population à l'exil, population avec laquelle les ouvriers ne se mêlent pas. Et en effet, les deux camps s'observent, se regardent, les ouvriers sont fascinés par le calme, l'organisation, la persévérance et la discipline de cette communauté humaine malgré le sort qui les attend …frontière bien étanche entre les deux groupes, les ouvriers restent entre eux, les habitants du hameau entre eux, chacun vivant de son côté sans se côtoyer… jusqu'au moment où un ouvrier abuse d'une jeune fille du village. Cet incident aura de lourdes répercussions et va perturber notre narrateur.

« le souvenir du visage de la fille empreint de honte me faisait ressentir la douloureuse solitude des femmes. Même si elle avait été violée, à partir de l'instant où elle avait cédé, le poids de l'homme s'était-il installé à demeure tout au fond de son corps ? ».

Cet homme se sent en symbiose avec ce hameau et d'étranges échos, telles des réminiscences, vibrent en lui. Comme ce jour émouvant où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines » afin de les placer dans de petites boites dans la perspectives de l'engloutissement de la vallée, de son côté le narrateur nettoie les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison. Cinq petits orteils qui cliquètent dans leur boite au fond d'un sac à chaque pas du narrateur, lui rappelant sans cesse son crime.
Son acte fut un acte de vengeance extrême et inouï pour profaner sa tombe et lui faire du mal même au-delà de la mort, alors que les villageois témoignent au contraire d'une immense dévotion et d'un profond respect pour leurs morts. le narrateur est ainsi conduit à réfléchir de nouveau à son comportement. La symbiose et la connivence vont s'amplifier après l'incident, il va alors faire preuve de beaucoup de sang froid, de courage et d'humanité, apaisant les blessures, immenses, du passé, reverdissant son âme noire.

« Dans cette gorge constamment ravinée par la pluie, la vitesse à laquelle germaient les bourgeons printaniers était stupéfiante. Au début c'était comme si tout se couvrait vaguement d'une fine couche de poudre vert-de-gris, mais de jour en jour la couleur devenait plus foncée, et bientôt les couleurs fraiches du feuillage printanier se répandaient dans toute la vallée ».

Au-delà de l'histoire personnelle de cet homme, le livre traite d'un sujet délicat, celui de l'expropriation d'habitants d'un village installés sur cette terre depuis des centaines d'années en contrepartie de grosses sommes d'argent dont ces gens, coupés de l'extérieur, n'ont que faire ou ne sauront pas bien utiliser. Les chasser, c'est ainsi les condamner à mort.

Et si cette vallée n'était-elle que symbolique ? N'est-elle pas représentative des tréfonds de l'âme de cet homme ? Les tombes du cimetière, nombreuses et surdimensionnées, ne représentent-elles pas l'obsession du narrateur pour la tombe de sa femme ? Et si ce convoi de l'eau n'était au final que le convoi de son âme vers la rédemption ? La construction du barrage, la construction de ses propres barrières afin d'arriver enfin à expier l'horreur orchestrée ?
Telles furent les questions que je me suis posée à la lecture de ce beau livre très poétique dans lequel nous avons, nous aussi, l'impression de flotter dans une brume légère d'où brillent des moments de beauté suspendus inoubliables. A noter une fin sublime que j'ai parcourue bouche bée…oui inoubliable !

« L'air au-dessus du hameau était pur, les mousses des toits brillaient de couleurs vives comme des algues vertes. Et dans les rayons lumineux du matin, il s'en élevait un peu de vapeur qui semblait ramper ».
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Le narrateur fait partie d'une première équipe d'une soixantaine de travailleurs recrutée pour la construction d'un barrage dans une vallée perdue du Japon de l'immédiat après-guerre.
Cet homme a signé ce dur contrat de travail non pas pour le salaire alléchant mais pour fuir un passé détestable marqué par une enfance compliquée et un récent séjour en prison pour avoir fracassé à coups de bûche la tête de sa femme adultère.
Bien que ses nuits soient peuplées des cris de ses deux petites filles qui ont assistées à la terrible scène sanglante, six ans après les faits il n'arrive pas à pardonner la trahison de sa femme.

Au fond de la vallée existe, depuis on ne sait combien de temps, un hameau où vivent plusieurs centaines de personnes mais l'ordre est donné aux ouvriers, d'éviter tout contact avec les autochtones. Les baraquements sont donc construits sur un promontoire rocheux qui surplombe le village.
Un certain nombre de faits graves en rapport avec les travaux du barrage perturbent la vie paisible du hameau et les travailleurs, de leur poste d'observation, assistent médusés aux réactions souvent stoïques des villageois. Le narrateur est bien le seul à ne pas rire des blagues que lancent entre eux les ouvriers du chantier sur la supposée bêtise des gens du coin.

Le jour où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines », le narrateur nettoie de son côté les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison.
De plus en plus en symbiose avec le village condamné, c'est par une action courageuse et d'une grande humanité que le narrateur entreverra enfin un début de rédemption.

« le convoi de l'eau » est un court roman de toute beauté, empreint de poésie.
Akira Yoshimura signe là une fable où deux histoires – celle du narrateur et celle des habitants du hameau voué à la destruction – évoluent en parallèle pour finalement se rejoindre dans un dénouement chargé d'émotions.

Quelle est belle cette humanité cachée au tréfonds de l'âme humaine capable de soudain se réveiller et de franchir… le plus résistant des barrages !
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Convoi de l'eau ou convoi de l'âme ?
Construction d'un barrage au fond d'une vallée ou expiation d'un carnage du fond d'une destinée ?

« Pour moi inhumer cette jeune femme était quelque chose d'important qui apaisait ma blessure du passé. »

Brume des sentiments et brouillard des agissements sont éclairés, clarifiés par les mots poétiques d'Akira Yoshimura.

L'eau comblera la vallée et avalera le passé du hameau qui ne sera plus porté que par la mémoire des hommes, véritable barrage à l'oubli des âmes.

On ne part jamais pour rien : certains pour oublier, au mieux pour estomper, faire taire les relents d'avant, d'autres y sont forcés par des intérêts d'état ou des tas d'intérêts.

Akira Yoshimura mêle avec esprit et malice le parcours d'un homme blessé et la bravoure d'un hameau sacrifié.

Tout en finesse, ce chassé-croisé m'a emporté et je suis parti avec eux, au plus profond de la forêt des êtres.

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Je ne suis pas familière de la littérature japonaise. Aussi ai-je abordé avec curiosité le roman de Akira Yoshimura : le Convoi de l'eau. Une fable assez déroutante pour moi en tout début de lecture par son atmosphère. L'eau sous toutes ses formes, la brume, la mousse, la forêt sont omniprésentes et constituent un décor un peu irréel, souvent oppressant par son caractère inhospitalier : "La vallée était sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard".
Dans cette nature pas toujours bienveillante évoluent des hommes qui n'appartiennent pas aux mêmes mondes. Les premiers, à commencer par le narrateur, sont les représentants de ces technologies avancées qui sont l'apanage de notre civilisation moderne. Ils sont là pour construire un barrage sur la rivière K. Les seconds sont les "habitants du hameau" celui même situé au fond d'une vallée qui constitue "une forme naturelle idéale pour un lac de retenue". Vous l'aurez compris, ce village doit être détruit et ses habitants devront le quitter dès que les autorités chargées de la construction du barrage l'auront décidé. La thématique sous-jacente à cette histoire est donc bien celle liée à la spoliation des droits des peuples autochtones face à une civilisation plus agressive que la leur et qui n'hésite pas à détruire tout ce qui fait obstacle au progrès, au profit et au confort...
Ce qui m'a beaucoup plus dans ce court roman c'est justement le traitement de cette thématique. Pas de condamnation directe, pas de jugement mais un regard, celui du narrateur, derrière lequel on sent la présence de l'auteur. Ce narrateur va, en effet, à la suite des résonances avec son histoire personnelle, être amené à observer avec intérêt ces "habitants du hameau". Et au fur et à mesure qu'avance l'histoire nous allons découvrir avec lui que ce petit groupe de femmes, d'hommes et d'enfants, fait preuve d'une humanité qui force notre respect.
D'abord profondément surpris et décontenancé par leur obstination de fourmis à reconstruire sans se lasser ce qui a été détruit par le dynamitage des rochers surplombant leurs habitations, il va découvrir petit à petit les valeurs qu'ils partagent. L'importance, par exemple, des rituels liés à la mort et qui dégagent à la fois une familiarité et un respect déconcertant pour les défunts et leurs restes. le narrateur va être aussi confondu par le soin et l'intelligence dont ils font preuve dans la gestion de leur environnement à savoir l'eau et la forêt. La cohésion et la solidarité de leur groupe seront également très présents dans l'organisation de leur départ...
Peu à peu et tout comme le narrateur nous passons de l'étonnement à une admiration sans réserve pour ces femmes et ces hommes qui font face à leurs "ennemis" mais sans la moindre agressivité ou précipitation.
La fin du roman est superbe, à la fois par son caractère hallucinatoire mais aussi solennel, onirique et symbolique. D'un symbolisme qui nous parle beaucoup à nous, femmes et hommes du XXIe siècle ! Mais je n'en dirai pas plus...
Je me rends compte en terminant cette chronique combien j'ai été impressionnée par la force de l'évocation de l'auteur face à ces "habitants du hameau". C'est une lecture sélective que j'assume mais qui n'est pas la seule possible;
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Le Convoi de l'eau… Un titre qui invite à la poésie, à la rêverie, à la douceur et au monde paisible.
Akira Yoshimura… Un auteur qui m'a subjuguée avec Naufrages, qui sait faire vibrer la corde sensible en moi, qui me rappelle mes voyages nippons et ravive mes sentiments et émois.

J'ai ouvert ce livre avec la délicatesse nécessaire à l'ouverture d'un cadeau précieux, consciente du trésor que j'allais y trouver.
J'ai dégusté sa première ligne. Simple. Belle. Dynamique. Joyeuse : « de l'avant de la file nous parvint un joyeux tumulte ».
Et me voilà plongée en terre connue… A flanc de colline, sur un sentier montagnard, à la file indienne, des amis devant, des amis derrière. Et ces rires qui fusent de ce bonheur d'être ensemble et d'humer l'air frais, admirant des paysages exceptionnels et savourant la brise légère qui rafraîchit nos visages sur lesquels perlent la force de l'effort.

Deuxième phrase : « Les voix qui s'élevaient dans la pénombre de la forêt déclenchèrent des cris aigus et les battements d'ailes d'oiseaux sauvages. »
La magie continue. Les regards émerveillés s'élèvent dans le ciel. Les nuages dessinent l'essentiel des rêves. Les oiseaux se détachent en un vol tumultueux et nous prennent à témoin. Leur tranquillité dérangée, ils n'ont de cesse que nous faire admirer leur beauté colorée.

Ca y est… J'y suis. Il n'a fallu que deux phrases pour que je sois totalement dépaysée, charmée, transportée.
Le reste du roman n'est que la suite d'un tapis tressé de mots sélectionnés et assemblés comme seul un orfèvre de la plume sait le faire. le style de Akira Yoshimura est unique et inimitable. Elle me touche au coeur. Et c'est là le trésor de ce livre.

Quant à l'histoire, j'avoue que je l'ai reléguée au deuxième plan, privilégiant la beauté du voyage textuel et la construction des phrases. Elle retrace le travail sans failles d'ouvriers engagés dans la construction d'un barrage en haute montagne et qui petit à petit se laisse interpeller par les us et coutumes mystérieux des villageois qu'ils vont devoir déloger. de nombreux passages décrivent le travail acharné des ouvriers, dans le détail. C'est la partie qui m'a le moins plu. le dernier tiers du livre est de loin le plus passionnant, chaque personnage se détournant de son devoir professionnel pour s'intéresser à l'autre, à sa culture, à ses émotions, à ses croyances.

La fin m'a laissée sur ma faim. Je voulais que l'auteur m'attire plus loin dans ses émotions. Dans les miennes. J'en voulais plus. Il m'avait donné à manger. Je voulais qu'il m'inonde de plaisirs littéraires. Mais Yoshimura a préféré me laisser la responsabilité de la suite de l'histoire. Seule sur mon chemin de montagne, me voilà un peu perdue. Est-ce parce que mes attentes étaient trop hautes ? Trop figées ? Trop intenses ?

« Devant mes yeux se succédaient les montages enneigées, indifférentes, en une étendue qui se déroulait à l'infini. ». J'ai refermé ce roman, touchée au coeur. Je me suis relevée après cette pause. J'ai remis mon sac à dos. J'ai repris le sentier de la vallée. Un peu grandie. Un peu différente. Consciente qu'un petit miracle vient d'avoir lieu.
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A l'aube de cette excursion littéraire, je m'enfonce dans la forêt. Peu importe son nom, peu m'importe son lieu, j'erre au milieu de fougères et d'arbres centenaires. de temps en temps, je vois un chemin qui serpente vers un minuscule temple, ou un jizo semé là, presque étouffé par la végétation luxuriante de ces chemins. L'aurore amène ses couleurs comme le vent charrie ses odeurs. La nuit s'estompe, certains coins de la forêt restent encore plongés dans le noir absolu, comme si un peintre s'était amusé à les calligraphier d'encre de Chine.

Entre deux méandres du sentier solitaire emprunté, je fais une pause, pose mon sac-à-dos, et décapsule une bière pour étancher ma soif matinal, m'essuyer le front de cette sueur moite qui suinte par les pores de mon corps. Reprendre mon souffle avant de retrouver mon chemin, une pluie fine dégoulinant du ciel obscur. Et là, le souffle se coupe, de nouveau. Perdu dans les montagnes, je vois étrangement un hameau suspendu au milieu de la vallée. Quelques maisons brinquebalantes en bois, des toits de mousse, une rivière et son moulin un peu plus en retrait. Des habitants vivent donc dans cet endroit si reculé, si loin de tout, alors qu'il n'y a même pas encore l'eau courante... J'ai entendu parler d'un projet venant à l'amener jusqu'ici... ou du moins à noyer le village pour construire un barrage en amont. Peut-être même que les travaux ont déjà commencé sur un autre versant de la montagne, j'entends au loin des bruits de tronçonneuses. le convoi de l'eau serait donc en marche...

Je reviens un instant sur mon souffle coupé, devant la beauté de ce panorama. Mais, aussi je perçois un sentiment étrange, une certaine "brume" semble flotter sur ce village isolé. Une sueur froide coule le long de mes tempes. J'ai subitement du mal à respirer, comme étrangler par une sensation indéfinissable. Je sens qu'il se passe quelque chose dans ce hameau. Étrange, voir malsain. Où en est la folie des hommes ? Où en est la cruauté des hommes ? Au milieu de tout ça, je repense à un bouquin qui ne me quitte plus depuis des années. Naufrages. J'ai donc fait naufrage loin de la mer, mais si près de l'eau. Il y a des moments qui sont difficilement oubliables, comme un amour, ou une mort. Ou comme le hameau perdu dans la brume que je fixe longuement depuis plusieurs heures sans le lâcher du regard, une petite tache blanche flottant sous un arbre m'intrigue... Un mystère de plus dans ce hameau. Un malaise, une poésie.
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La longue file de nos ouvriers s'étire sur le flan de la colline. Au creux de la vallée, près de la rivière s'offre à notre regard un antique village, dont les habitants vivent en huis clos depuis toujours. C'est une société hors du temps. C'est en tout cas ce qu'on suppose parce qu'on ne peut que les observer, de loin. Ils peuvent nous voir aussi maintenant que notre camp est en face. Chacun vit son existence et on fantasme celle de l'autre. le moindre geste est surprenant ou suspect de si loin.

Nous savons qu'ils savent.

Leur village va disparaitre sous les eaux, on est là pour construire un barrage. Il leur reste quelques semaines pour partir. Et nous, on prépare la suite, on creuse, on fore, on mesure, on calcule.
On se demande comment ils vont faire, on se demande ce qu'ils pensent de nous quand ils nous regardent. On ne peut pas leur parler, ça déclencherait un massacre, surement. Ils doivent nous haïr. Mais là leur peine est terrible, et si on essayait...

Quand je les vois je pense à ma femme, à ma vie, mon enfant, mes secrets; il y a des choses qui me rapprochent d'eux, mais quoi? Cette attente est interminable.

On est tous l'étranger de l'autre tant qu'on a pas été à sa rencontre.
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Quelque part dans une vallée nichée au milieu de la forêt, des hommes, des ouvriers progressent. Ils ont pour mission de confirmer sur ce site la faisabilité de la construction d'un barrage hydroélectrique, et de faire les repérages nécessaires. Un village est tout proche, dans cet endroit un peu étrange qui n'a été découvert fortuitement qu'à l'immédiat après-guerre, à l'occasion de la recherche d'un avion B29 écrasé. Pour construire ce barrage, il faudra noyer le village.

Pour nous guider, un narrateur qui s'est engagé dans ce boulot aux allures d'expédition, en guise de réinsertion…car il sort de prison, traînant un terrible passé. Il n'en fait pas longtemps mystère, nous replongeant dans ce souvenir du crime dont il s'est rendu coupable et qui le hantera à jamais : il a tué sa femme adultère d'un coup de bûche.

Ces réminiscences ne le lâcheront plus, même au fond de cette mystérieuse vallée, d'autant qu'un jour, sous ses yeux fascinés, entourée de quelques villageois, une belle jeune femme toute vêtue de blanc vient à la rencontre des travailleurs, dans une attitude accusatrice, et pointe l'un d'eux…
Un drame plus loin, nous découvrirons les étranges us et coutumes de ces habitants qui font culture à travers leurs habitations aux toitures particulières, leur cimetière immense…Vivant dans une quasi-autarcie, sous leurs airs de peuplade semi-primitive, ils montreront leur psychologie complexe : sens de l'effort collectif, respect sacré pour les morts, pacifisme assorti néanmoins d'un sens de l'honneur qui peut les pousser à des comportements cruels, acceptation sans résistance de l'argent proposé pour leur expropriation.

Le narrateur sera le seul à créer une esquisse de lien, silencieux, avec ces gens, dont les agissements mystérieux feront écho à son drame personnel, apaisant un peu sa conscience torturée. Dans ce lieu au milieu de nulle part, comme hors du temps, se raconte l'évolution intérieure d'un homme rongé par des sentiments contradictoires, haine et violence, culpabilité et recherche de rédemption.

Mais l'ambition de ce texte va sans doute au-delà. Ces villageois aux rites presque primitifs qui doivent renoncer à leur âme, appâtés par le mirage de mannes financières bien dérisoires quand se joue la disparition de cultures ancestrales écrasées par la pression du monde dit civilisé, c'est tout le drame d'un monde qui n'est plus, quelque part au fond de l'Amazonie, de l'Afrique ou d'ailleurs…Yoshimura le Japonais pense-il aux Aïnous du Hokkaido ?

Toujours est-il que l'ambiance de ce roman m'a semblée plus japonaise qu'elle n'en a spontanément l'air. L'atmosphère est tout empreinte, j'allais dire imprégnée, voire saturée d'humidité, tellement l'eau est omniprésente. Torrent, pluie quasi incessante, et brume qui contribue à nimber l'histoire même de mystère, et nous rappelle que ce pays insulaire est habitué à la moiteur et aux pluies diluviennes estivales. Ce récit fait aussi l'« éloge des mousses », tant celles-ci sont signalées et mises en valeur. La mousse est très importante dans la culture japonaise, elle embellie les pierres, lorsqu'un occidental cherchera à s'en débarrasser. Dans cette vallée loin de tout, le lecteur ressent une mystique singulière, comme si se glissait une âme dans les arbres (dont un incroyable paulownia !), le torrent ou les pierres tombales du cimetière. Serait-ce l'esprit shinto, la religion polythéiste de l'archipel ?

Un très beau roman, qui marque par son atmosphère et le remarquable traitement psychologique que Yoshimura fait de son personnage principal, nous ramenant régulièrement dans une narration parfaitement maîtrisée à son drame intérieur, tout en nous dévoilant par touches les particularismes de cette micro-société capable d'imprimer et d'impressionner par une étonnante maturité et solidarité collectives l'esprit de ces colons.
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Une vallée perdue au Japon où est érigé un petit village d'agriculteurs, coupé, oublié du monde.
Une compagnie de travaux publics dans les montagnes entourant ce petit village , faisant sauter la montagne pour y construire un barrage qui à terme rayera le village la carte.
Un ouvrier singulier, juste sorti de prison qui échoue dans ce bout du monde pour se reconstruire.

Roman particulier, nimbé de mystère, porté par une écriture simple, efficace , faisant place au sentiment, à l'évoqué plutôt qu'au long dialogue.
L'auteur nous plonge dans cette atmosphère où s'opposent deux mondes , celui du progrès technologique et celui des villageois , vivant repliés sur eux mêmes , en symbiose avec leurs montagnes.
Et puis, il y a cet ouvrier, qui va s'attacher au village et dont le portrait dressé par l'auteur est tout en subtilité , remords, culpabilité, empathie.
Un livre , qu'il est certes difficile de qualifier d'étrange dans sa globalité, mais qui n'est pas commun et où règne une atmosphère particulière.
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