Citations sur L'échange (21)
- Qui êtes-vous ?
Elle sourit encore, me caressa le visage.
- Je suis la terreur.
J'eus l'impression d'être effleuré par un morceau de parchemin, tant sa peau était fine.
- Je tire ma force de leurs peurs et je m'en nourris.
Dans l'histoire, Emma a quatre ans. Elle sort de sa chambre et traverse le couloir en pyjama. Quand elle touche la petite main entre les barreaux, la chose dans le berceau se rapproche, essaie de la mordre, alors elle retire ses doigts, mais ne recule pas. Ils passent toute la nuit à se scruter dans le noir. Au matin, la chose est toujours tapie sur le matelas aux imprimés d'animaux et la regarde. Ce n'est pas son frère.
C'est moi.
Mille choses peuvent survenir et vous effrayer jour après jour. Et si quelqu'un de proche se révélait atteint d'un cancer et qu'il arrive quelque chose à votre soeur, à vos amis ou à vos parents ? Si vous étiez renversé par une voiture en traversant la rue, ou si vos camarades de lycée découvraient que vous êtes un monstre ? Ou si vous vous enfonciez trop loin dans le lac et que l'eau vous submergeait ? Et s'il y avait le feu ou la guerre ?
De quoi vous empêcher de dormir toute la nuit, d'autant que ce sont des choses parfaitement réelles. Possibles.
Emma, la menteuse-en-chef, la reine des mon-frère-est-normal, mon-frère-est-timide. Mon-frère-est-malade, il a des des allergies, une mononucléose, une intoxication alimentaire, la grippe... Le plus gros, le plus énorme mensonge de tous: mon frère.
La fillette leva la tête vers moi, mais quand elle sourit, j'eus un mouvement de recul. Si son visage semblait plutôt jeune et timide, son sourire laissait apparaître plusieurs rangées de quenottes acérées, cinquante ou soixante plutôt que trente-deux.
La morale de cette histoire est qu'il ne faut pas attirer l'attention. Ne pas avoir de doigts déformés. Ne laisser personne s'étonner de son aptitude à accorder des instruments à l'oreille. Ne pas montrer les élans de son coeur, sinon, dès que quelque chose ne va plus, on risque de se retrouver pendu à un arbre.
Tout le monde a des racines, des origines. Certaines sont juste plus accessibles que d'autres.
A vrai dire, il est facile de comprendre une ville, de l'aimer, de la détester, de lui adresser toutes sortes de reproches; mais au final, ça ne nous empêche pas d'en faire partie.
En quittant le crassier, je retrouvai l'atmosphère moite et poisseuse de l'automne, avec cette pluie qui n'arrêtait pas de tomber. J'escaladai la pente du ravin, traversai la passerelle, remontai Orchard Circle en direction de la maison. Dans Concord Street, les lampes des perrons formaient une ligne à peu près droite d'un carrefour à l'autre.
Arrivé chez moi, je grimpai au premier, m'arrêtai sur la dernière marche et m'appuyai à la rampe, le temps de faire bonne figure avant d'entrer dans la chambre d'Emma. J'entrouvris sa porte, collant ma bouche dans l'embrasure pour pouvoir murmurer sans laisser entrer trop de lumière.
Parfois, si sa nouvelle mère l'aime et s'en occupe, le bébé malade va mieux. Il grandit, acquiert une bonne santé et devient normal. Parfois, du moins si sa mère l'aime assez pour ça, il devient beau.
Emma, la menteuse en chef, la reine des mon-frère-est-normal, mon-frère-est-timide, mon frère-est-malade, il a des allergies, une mononucléose, une intoxication alimentaire, la grippe... Le plus gros, le plus énorme mensonge de tous: mon frère.