Ernest Prarond trouvait ma poitrine assez plate, quand Félix Nadar jugeait exubérant le développement de mes pectoraux.
Jeanne... Acceptez-vous de me prendre pour Monsieur, de devenir mon esclave de minuit ? De me rester toujours attachée ? Et de vous appeler à jamais Mademoiselle Baudelaire ?
Sa chair était faite d'encre noire couchée dans la douleur sur le papier...
Moi, je n'existais pour lui que dans l'invisible.
Ernest était certainement le plus attentionné avec moi. Il m'adressait la parole avec autant d'égards que l'animal qui jouait dans mes bras.
J’étais intimidée par son étalage de connaissances géographiques, sa mémoire de voyageur. Je n’ai pas dit : « Je m’appelle Jeanne. Jeanne Lemer... »
J’aurais pu dire aussi Jeanne Duval. Ou encore Jeanne Prosper, ou « Dardart », comme disait mon meilleur ennemi, Nadar, mon premier « monsieur »... ou « la Vénus Noire », comme vous le disiez si bien à votre fils, madame, en insistant avec une voix grave sur la couleur... pour la noircir plus que ma peau.
Tout dandy s'accorde à l'air du temps, fût-il un soleil couchant.
Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, quand je mords tes tresses lourdes et noires, il me semble que je mange des souvenirs.
"_T'as gagné le gros lot ? Me fais pas de dessin, le mercure, c'est pour la vérole !
_Non non...Ça fait dix ans que je la soigne !
_Avec quoi ? Ça se soigne pas, la Baude. Ça fait mine de partir, et ça revient en douce, comme ta moricaude...Ça te quitte jamais !
_Hélas ! Le mal qui me ronge est pire...C'est l'ennui..."
Je l’aidais à faire l’apologie de cette déesse du mal, à laquelle tout le monde voulait m’identifier, convaincue qu’il voulait me protéger de leurs préjugés mâles de jeunes Blancs arrogants. Car moi, la mulâtresse sans nom, sans histoire, la fille créole d’un sombre esclave adorateur de vaudou, je vous l’avoue, je ne détestais pas cette Vénus noire dont il idéalisait la couleur de peau et le parfum de la chevelure crénelée…
"_Mon cher Tournadar, un dandy doit aspirer à être sublime sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir !
_Ah ! Ah Voilà sans doute ce qui explique ta fréquentation assidue des bordels... Question miroirs, tu es servi ! Mais pour l'élégance...
_La quête du beau est un sacerdoce auquel Satan lui-même ne pourra pas me faire renoncer !"