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Critique de Aelyse


"Nuèch blanca" nous propose de passer une nuit entrecoupée de flashes-back en compagnie d'Angèle. C'est l'occasion rêvée pour faire le point sur son passé. La maladie de Lalia semble n'être qu'un prétexte à sa longue introspection. Au fil des pages, un parallèle se dessine entre l'aïeule et l'enfant, toutes deux isolées pour des raisons bien différentes.

Angèle nous raconte son arrivée à l'école, et la perte déstabilisante de sa langue maternelle, la lenga nòstra, lentement étouffée par le français obligatoire. Subitement, la langue que l'on parle chez soi devient objet de mépris. Un mot vous échappe, et il est puni. Brimades et humiliations s'enchaînent pour corriger le naturel. Les instituteurs pensent agir pour le bien des enfants, sans réaliser la cruauté de ce déracinement imposé. Voilà bien un sujet qui me parle ! Mes grands-parents ont connu les mêmes déboires avec le wallon. Sous des couverts d'unification, la langue dominante broie implacablement le dialecte qu'elle considère comme vulgaire. Mais derrière les mots, il y a tout un peuple, la chaleur du foyer, l'estime de soi et de son environnement. Cette perte d'identité est formidablement décrite, et on en ressent toute l'ampleur.

"On y met du sien, on convoque quelques bribes de souvenirs, on s'égare entre les mots qui ne disent rien de ce qui se dit au-dedans ou pas tout à fait, on tombe dans l'approximation, on bredouille. Que peut-on raconter de ce que l'on est, de ce que furent les êtres aimés, de la trace qui demeure, de la langue qui était et qu'avala le flot boucher ?" (p. 87)

Bouleversée, la petite Angèle doit se plier bien malgré elle à ces exigences... avant de trouver un moyen de les dépasser. Mais le mal est fait.

Est-ce pour cette raison que ses paroles manquent tellement de naturel ? Au début je me suis demandé si l'auteur avait des soucis pour rendre ses dialogues réalistes, mais les autres personnages, aux expressions parfaitement crédibles, m'ont convaincue du contraire. Seules Angèle et Marthe parlent comme des livres, au point que certaines réflexions semblent à côté de la plaque et m'ont fait hausser les sourcils.

"- Tu avais l'air de ne rien y voir, Angèle, hier, depuis la voiture.
- Lorsque le véhicule a ouvert un sillon près des troupeaux, je n'aurais su dire comment c'était venu.

- Il y avait le brouillard.

- On s'est avancé dans un dédale de bêtes drues qui épaississaient la nuit." (p. 111)

Evidemment, je choisis pour illustrer mon propos un passage presque caricatural : rassurez-vous, elle ne parle pas toujours comme ça ! Cet aspect parfois trop "littéraire" traduit le malaise d'utiliser ce qui reste une langue étrangère. La lenga nòstra ne ressurgira qu'avec Lalia, qui la réclamera à sa grand-mère, établissant un pont de plus entre elles.

Angèle sera une fois de plus foudroyée lorsque la bienséance lui imposera de taire sa douleur lors d'un événement tragique. Après avoir dénaturé la parole, la voilà muette de sentiments. Il faut aller de l'avant... le coeur muselé. Deux fois réduite au silence, il lui faudra de longues années, et cet exil dans le Haut Pays, afin de se retrouver pleinement.

Adeline Yzac sait écrire, c'est un fait. Je me suis même retrouvée à faire un truc qui n'était plus arrivé depuis longtemps : noter des mots de vocabulaire ("immarcescible", je ne connaissais pas, par exemple). Heureusement, cela n'entrave en rien la lecture. le style est fluide et agréable, même si l'auteur abuse un peu des virgules en multipliant les énumérations. Mais c'est affaire de goût !

"Broutilles, miettes, restes, on ramènera quelques reliefs. On devrait écrire, ouvrir un calepin. On aimait l'écriture jadis au pensionnat, de longues pages noircies au crayon à papier dans l'usure des nuits, au creux du dortoir sans fin, les lits alignés dans le froid glacial ou la chaleur étouffante captivaient le regard, on marquerait de brèves nouvelles à la mode de jadis." (p. 161)

La plume est poétique, et plusieurs métaphores valent le détour. Si vous aimez vous arrêter pour noter des citations, prenez un gros cahier et un bic qui tiendra le choc : ce livre regorge de trésors. On s'arrête souvent au détour d'une page pour admirer une formulation ou méditer une réflexion brillante. Je ne peux que vous conseiller de préparer également un gilet bien chaud, tant le pouvoir d'évocation de l'auteur est efficace. Vous trouverez facilement votre place au coin de l'âtre, bercé par les évocations de cette réunion familiale, tandis que résonnent au-dehors les cris de joie des enfants.



On plonge avec plaisir dans cette étrange atmosphère de nuit enneigée, cette Nuèch blanca (un joli titre inspiré, aux multiples significations) où le temps semble suspendu. Nostalgie et regrets sourds s'entremêlent avec talent. Si les parenthèses un brin contemplatives ne vous effraient pas, vous trouverez sans aucun doute votre bonheur. Une chose est sûre : le voyage vaut le détour.



Merci à Babelio et aux éditions Chèvre-feuille étoilée pour ce moment suspendu.
Lien : http://cequejenlis.canalblog..
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