Pas vraiment surprenant de retrouver de plus en plus la course à pied dans la littérature, au vu de sa place dans la société. Après les récents
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de
Lionel Shriver ou
Ne t'arrête pas de courir de
Mathieu Palain, c'est au tour d'un autre Matthieu, Zaccagna, de nous faire haleter sur les pas de son héros dans un premier roman très réussi.
Il s'appelle Victor, a derrière lui dix-sept ans de souffrances pour l'essentiel. Alors il court Victor. Sans être un perfectionniste de l'effort programmé ni un culturiste de la performance. Plutôt un spécialiste de la douleur : « La douleur impérative, nécessaire, donne un sens à l'effort furieux. Sans douleur, pas de course. Je cours sale. M'échappe de moi, m'agresse. » Reste à savoir de quelle douleur il s'agit vraiment. Celle de la violence de la course, ou celle de la violence de son passé. Ce sont en tout cas ses courses effrénées dans Paris qui le maintiennent dans une forme aléatoire de survie précaire et urgente, au milieu de rencontres elles aussi « qui se tiennent à la lisière des choses, pas loin du vide. » Même si elles pourront se révéler bienfaitrices. Des courses comme des exutoires sur macadam et des oublis de soi, des courses comme pour exsuder son passé toxique, avec Louis qui devenait Luigi le rigolo, « quand il avait le second degré, quand il était bien luné.» C'est à dire pas souvent. le drame familial sera révélé peu à peu, en alternance avec les sessions urgentes de courses éreintées dans Paris. Comme une anamnèse nécessaire dans des reprises de souffle, des apaisements après la violence brutale de l'effort, comme un impératif pour envisager de rebondir.
On imaginerait plus facilement, pour ce genre de personnage à la construction douloureuse et funeste, qu'il sombre dans des addictions pernicieuses comme l'alcool ou la drogue.
Matthieu Zaccagna le fait plonger dans la bigorexie, addiction sportive ambivalente et contemporaine, habile manière d'augurer la possibilité d'une renaissance à venir.
Toujours est-il, le primo-romancier ne lâche pas son lecteur d'une semelle dans ce rapide roman haletant, au gré d'une langue taillée dans le vif du verbe, à la fois incisive et délicate. Avec des phrases courtes, on s'en doute. Pour une franche réussite.
« J'accélère. Trace vers l'ouest. Au milieu des véhicules, des scooters, des trottinettes, des piétons encombrant les trottoirs en cette heure matinale, je sautille, jaillis, me libère. Au milieu des cinémas, des théâtres, des pubs et des cafés des grands boulevards, je me libère du monde. »