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Critique de berni_29


L'inondation est un petit roman qui est pour moi un véritable chef d'oeuvre.
C'est un texte d'un auteur russe qui m'était jusqu'ici totalement inconnu, - un certain Evgueni Zamiatine.
C'est presque un huis clos étouffant, si ce n'est le fleuve à côté qui irrigue les pages.
C'est comme un thriller, la tension monte, grandissante comme une crue, comme ces eaux qui montent ici, la Neva, ce fleuve qui traverse Saint-Pétersbourg, ville qui à l'époque du récit s'appelle Petrograd.
Nous sommes à l'automne 1920. La révolution russe semble déjà loin. Trofim Ivanytch est marié à Sofia, ils forment un couple sans histoire, un couple presque ordinaire. Ils s'aiment, du moins semble-t-il.
Sofia et Trofim n'ont pas d'enfant, ou plutôt n'ont toujours pas d'enfant après treize ans de vie commune. Rien n'est dit dans le couple à ce sujet, mais Sofia comprend peu à peu, par des signes à peine perceptibles de la part de Trofim, - et nous ausi dès lors, que si elle ne conçoit pas d'enfant, celui-ci la quittera un jour ou l'autre. Pourquoi ce reproche à demi-mots ? Peut-être sans les mots d'ailleurs ? Pourquoi à elle et pourquoi pas à lui ?
C'est alors que leur voisin le plus proche, le menuisier déjà veuf, meurt du typhus, laissant derrière lui une fille orpheline, Ganka, elle doit avoir une douzaine d'années. C'est une tragédie.
Sofia a le coeur sur la main, mais son désir d'être mère l'emporte aussi dans cet élan... Elle propose à Trofim de recueillir la jeune fille et il l'accepte.
Avec le temps, une relation s'installe, harmonieuse au début, dans cette union qui ressemblerait presque à un amour filial. C'est le bonheur d'une petite famille qui se construit comme cela. Mais peu à peu, le désir de Trofim s'exprime envers la gamine qui a grandi, devenue adolescente, qui continue de grandir effrontément sous les yeux de Sofia...
La suite, je ne sais pas si vous l'imaginez... Moi non, Evgueni Zamiatine oui. Et c'est là que les digues, qui retenaient jusqu'alors les eaux de la Neva, s'éventrent et envahissent les pages du récit.
J'ai été sensible à cette manière de l'auteur de décrire avec des phrases ténues ce basculement des rivages intérieurs avec ceux d'une crue qui envahissent au même moment les berges de la Neva.
Que reste-t-il alors dans le ventre déjà vide de Sofia ? de la honte ? de l'humiliation ? de la résignation ? de l'oubli ? Des pierres qui pèsent lourdes comme le poids de la culpabilité et de l'abandon ? Des pierres à jeter ? Mais à jeter sur qui ?
Les eaux montent au fil des pages. La beauté du monde est peu à peu envahie et effacée par la jalousie et la haine comme une mer qui monte sur le sable d'une plage.
J'ai adoré ce texte abrupt, écrit à l'os, qui permet justement cette tension qui se déploie jusqu'à l'extrême.
C'est une douleur retenue jusqu'à l'asphyxie, comme des digues retenant tant bien que mal des eaux plus fortes que la raison. C'est un texte qui fait mal, qui dit le désespoir jusqu'au point ultime où il peut encore être accepté. Après... Après ? C'est seulement ce qui est arrivé.
Les livres sont des remous, des tangages, les mots sont des ponts, mais les ponts s'effondrent parfois aussi sous la montée des eaux...
Comment ne pas songer ici à Crime et Châtiment, comment ne pas songer à Raskolnikov ? Je ne vous en dis pas plus et je m'empresse de terminer cette chronique avant de me laisser emporter par les flots de la Neva...
C'est un texte superbe.
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