Londres, c'est Dickens remixé par un oligarque.
Elle a besoin de ses mains pour sortir de cet abîme sans fond et réussir à déplacer l’histoire. Elle a besoin de lui pour se libérer et pouvoir sauver ce qu’il est encore possible de sauver.
Alors elle s’arme et se défait de son emprise. Elle oblige sa douleur à se transformer en haine. Dorénavant, seule sa propre volonté compte. Elle repousse violemment David en hurlant avec toute la force que leur histoire dysfonctionnelle lui a donnée.
Je veux dire quelque chose. Peut-être donner une explication. Peut-être m’excuser. Je m’excuse, je m’excuse. Mais je sais que tout ce dont je suis capable c’est de piailler, de croasser, que tout ce que je peux produire c’est du chaos, du stress.
Même quand nous apprenons tous les mots, que nous chantons mieux que quiconque, même à ce moment-là, le béton ne nous lâche pas.
...
Ici la lumière est grisâtre en continu. Un soleil qui ne fait que perdre de sa clarté. Le halo jaune du réverbère dans la rue éclaire faiblement le béton et toute cette grisaille. Ici il n'y a que ça et rien d'autre.
Elle revoit l'écran de l'Arlanda Express. Les informations sur les émeutes en banlieue interrompues par une pub proposant une solution : Stirling Security. Et comme si ce n'était pas assez, Stirling Security aurait des connexions avec le Kremlin ?
Puis Mehdi se met à parler de Bergort. Des gangsters; De Rado qu'elle vient de blesser à la jambe. Du fait qu'il soit arrivé de nulle part il y a quelques semaines avec d'autres gars comme lui. Mehdi lui parle de leurs tatouages et de leurs yeux froids. Ils sont genre serbes et hyper dangereux.
Maintenant je vois l'ignorance et la méchanceté à Gaza et en Syrie, comme ici à Bergort, où nous sommes à la fois emprisonnés et expulsés de chez nous. Nous vivons dans le béton, sans avenir, sans histoire, à la merci de gens corrompus sans morale, de gens impossibles à respecter, ...
Ces journées printanières ne prennent jamais fin. Pas même quand le soleil se couche. Pas même quand la température chute et que l’hiver a presque repris sa place. Même là, elles ne prennent pas fin. Mais quand les ombres arrivent, nous enfilons de nouveau nos blousons et nous battons en retraite. Ce n’est pas une capitulation.
Elle regarde le fleuve et la silhouette matinale de la ville grise et compacte qui s’étend devant elle. C’est comme si sa vie était de nouveau terminée. Comme si, encore une fois, elle avait atteint une limite. Cette sensation n’a qu’un lien infime avec David et ça l’étonne. Elle s’était imaginé que le moment où elle arriverait à le quitter serait différent. Plus propre. Plus franc. Plus solennel. Pas comme ça. Pas comme si ce n’était qu’un détail dans quelque chose de plus grand, de plus important.
Comment allez-vous apprendre quelque chose dans ces conditions ? Cette société est trop faible, trop permissive. Ils veulent eux-mêmes nous donner des exercices de maths et des cours d’arabe parce qu’ils comprennent bien que nous nous éloignons de tout ça, que nous nous éloignons d’eux, que nous chuchotons de plus en plus souvent : Clé, dictée, liberté, fée, vallée.
— Hibou, caillou, chou, genou.
Ils entendent bien que nous croassons, que nous chantons presque.