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Critique de JustAWord


Ouvrage posthume, Peau D'Homme, c'est la fusion de deux talents : d'un côté le dessinateur Zanzim (L'île aux femmes) et de l'autre le regretté scénariste Hubert (Les Ogres-Dieux).
Pour mieux comprendre le présent ouvrage, rappelons qu'Hubert était un militant de la cause gay qui a longtemps souffert de dépression jusqu'à mettre fin à ses jours en février dernier… juste avant que ne paraisse sa dernière oeuvre, Peau D'Homme.
Depuis, l'album a reçu des tonnes de prix (Grand Prix de la critique ABCD, Prix Landerneau, Grand Prix RTL de la Bande-Dessinée…) et de louanges à la fois critiques et publiques. Il était temps d'explorer les frasques médiévales de Bianca, Lorenzo et Giovanni dans une Italie de la Renaissance menacée par le fanatisme religieux.

Tout commence par la présentation de Bianca — jeune fille de bonne famille dont le frère, Angelo, connaît un grand succès dans le domaine religieux — à Giovanni, autre jeune homme bien sous tous rapports. le mariage, vite arrangé, contrarie naturellement Bianca qui voudrait faire un mariage d'amour et non une union de convenances.
C'est alors que sa marraine lui dévoile le secret des femmes de la famille : une Peau d'Homme. En enfilant cette peau, Bianca devient, littéralement un homme… et se fait appeler Lorenzo. Grâce à cet artifice magique, la demoiselle aborde son promis et apprend à le connaître d'une façon aussi surprenante… que compromettante !
En situant l'action dans une Italie de la Renaissance et dans une ville proche de Florence, Hubert et Zanzim posent un cadre qui semble hors du temps. Cela permet d'abord aux auteurs de mimer la fable/le conte initiatique tout en mariant des thématiques désuètes à des enjeux modernes passionnants.
On s'en doute dès les premières pages, l'aventure de Bianca sera marquée par deux considérations : la place de la femme dans une société d'homme et la question du genre dans un univers cloisonné.
Pourtant, bien loin de délivrer un message dénué de nuance, Hubert prend un malin plaisir à aller là où on ne l'attend pas.

Car, si le lecteur pense à une condamnation rapide et sans appel de Giovanni, c'est en fait un double-jeu de dissimulation qui va se jouer sous nos yeux indiscrets.
D'un côté, la jeune Bianca déguisée en Lorenzo qui s'amuse à être un homme (et en découvre les nombreux avantages), de l'autre Giovanni qui dissimule son homosexualité sous des dehors publiques misogynes et grossiers.
Bianca (et le lecteur) découvre ainsi que la société requiert que l'on « joue à l'homme » avec tout ce que cela implique comme tirades bravaches et comportements virils exacerbés. Par la suite, Peau d'Homme prend un autre chemin : celui d'expliquer à la fois les difficultés de Bianca dans une société où elle est condamnée à incarner l'image de la femme discrète et honorable et les démons qui rongent Giovanni qui doit vivre sa sexualité de façon cachée en jouant le mari respectable. Ce double-jeu de dupes permet de rendre compte d'un monde du paraître où tout le monde souffre en privé, de la femme cocufiée à l'homme incapable de se remettre en question.

Mais bien davantage qu'un plaidoyer pour la liberté féminine et les droits LGBT, Peau d'Homme s'affirme également comme un récit initiatique et une analyse du passage à l'âge adulte par la découverte du corps (le sien et celui de l'autre). Un âge adulte où Bianca s'aperçoit que tout n'est pas rose, bien au contraire. Par ses figures maternelles, la jeune femme comprend qu'elle entre dans un cercle vicieux de privations et de malheurs, notamment autour du sexe, tabou suprême d'une société où le fait religieux fascine et revient au galop. C'est d'ailleurs le dernier acte de Peau d'Homme, ce commentaire sur l'oppression religieuse, catholique dans le cas qui nous intéresse mais très facilement généralisable aux autres cultes monothéistes, et qui asphyxie à la fois le peuple et les arts. Résolument optimisme dans sa conclusion, l'oeuvre D Hubert contraste avec son suicide, qui en dit long sur le chemin à parcourir depuis cette fable pleine d'humour et d'optimisme où le Soulèvement populaire finit par faire tomber les préjugés et l'obscurantisme, jusqu'à notre époque hantée par le spectre de l'intolérance.
Et si, au bout du compte, l'art était la réponse ?

Bouffée d'air frais et réflexion aussi drôle que tragique sur la condition féminine et LGBT, Peau d'Homme réjouit sans cesse le lecteur par son rythme effréné et son trait tendre. Hubert signe certainement l'une de ses plus belles oeuvres. Une oeuvre nécessaire que l'on imagine déjà en classique de la bande-dessinée.
Lien : https://justaword.fr/peau-dh..
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