Citations sur Apocalypse Riders, tome 1 : Le tanneur (26)
Le Cramé, il en a chialé sa race. Il a beuglé comme un porc qu’on égorge. Ça a mis dix minutes pour trouver le chêne. Dix longues minutes. J’ai farfouillé, comme pour agrandir le trou, je m’y suis repris à plusieurs fois. Je l’ai regardé droit dans les yeux, envie de jouir de sa souffrance.
J’ai bloqué la vis dans le bois. Et j’ai continué de jouer avec l’outil, un coup en avant, un coup en arrière, calmement. Le tout en sifflant « L’homme à la moto », de Piaf, histoire d’en rajouter une couche. L’autre s’écrase net, la douleur est trop intense. Assommé, le Cramé convulse d’un coup, dégueule du sang.
Le cri du motard résonne dans la maison, il tente de se débattre, mais pas facile avec ce que je lui fais subir. Je dégage la visseuse, Paulo me tend une deuxième vis armée de sa rondelle de cuir. On est synchros. Le gros jubile, il ricane comme un dingue. Lui aussi aurait un peu trop abusé du chimique que cela ne m’étonnerait pas !
Je me positionne au-dessus de l’autre épaule, la pointe de bichromate de zinc entame la chair doucement. Je fais durer le plaisir. Le Cramé se met alors à m’aboyer dessus, m’insulte, parle de ma mère comme d’une péripatéticienne de merde, roumaine ou bulgare, qui aurait sucé des bites de manouches... je n’ai pas très bien capté le sens de sa réplique.
— Tu vas souffrir pour avoir insinué que môman suçait des bougnoules !
Putain, j’ai pris mon temps, mon pied et j’ai enfoncé... très lentement, très très lentement...
— OK, la fiotte ! On va te planter.
Je lance la visseuse et d’office, je vise l’épaule droite. Pas de pitié, j’applique ma méthode. Fixation « Jésus-Christ », on ne pointe plus, on visse !
Le muscle éclate direct. La barbaque prend cher, le sang gicle d’un coup. Je chique l’os, ça force un peu, mais ça passe. Vache que ça pue d’un coup, ça y est je suis passé à travers, il est vissé à la table. Tente de bouger, mon con !
L’autre se réveille, sursaute comme un dément, gueule de plus belle. Il est fixé sur son sort et sur la table.
— Et d’une !
Je m’avance. Je termine mon joint en regardant le Cramé, la gueule éclatée sur la table. Il me semble plus calme, moins nerveux. On va pouvoir bosser, enfin…
Je jette ma clope.
— On va fixer une bonne fois pour toutes !
Je cherche mes outils dans la caisse rouge en ferraille, elle traîne toujours à mes pieds quand je bosse. J’ai beau chercher, je ne la trouve pas. Elle est où ?
Paulo capte de suite, il file alors dans l’arrière-fond et pioche dans une malle. Il débarque à la rescousse avec la visseuse sans fil.
Paulo, Teddy et Daddy ne se font pas prier, ils compressent mon client de tout leur poids. Daddy sur les cuisses, Teddy sur le torse et Paulo tire sur les sangles. Je me concentre alors sur le bras gauche et plaque l’épaule du cramé assommé sur le billot.
Seul l’apprenti ne bouge pas, il ne se doute pas, ne peut pas savoir.
Quand il faut, il faut, je vérifie que l’embout Torx soit le bon, une vis de 6/110 dessus, une rondelle de cuir au bout, histoire de pas traverser la viande.
Il est à la hauteur de sa réputation le gus. Un motard des « Loups de Calais », un renégat, il a monté sa propre équipe, son clan.
Il a le nez pété, les chicots qui baignent dans un mélange de bave et de raisiné. Il respire fort, avec un boucan de vieille locomotive. J’hésite : il est vraiment dans les pommes ou il cherche à reprendre des forces ?
Je m’avance. Je termine mon joint en regardant le Cramé, la gueule éclatée sur la table. Il me semble plus calme, moins nerveux. On va pouvoir bosser, enfin…
Bon, ça y est, c’est à moi de jouer, je m’avance. Et là, crois-moi si tu veux ou pas, mais voilà que le Cramé se réveille !
L’instinct.
Le mec se met à gesticuler de plus belle, il secoue les bras, envoie valdinguer les câbles, les sangles sautent d’un coup. Il est doté d’une force surhumaine.
Je manque me prendre un coup de pied dans la gueule. Un des gars lui balance de justesse un coup de batte de base-ball dans le buffet. Lui défonce d’un coup trois côtes au passage, il relance un deuxième coup, en plein dans le bas-ventre. Pour se reproduire, j’espère que c’est fait, parce que là, ça ne va plus être possible.
Les coups pleuvent de tous les côtés, Teddy attaque carrément à coups de barre à mine, lui défonce le bide, pendant que Paulo lui colle la tête contre le bois de la table, ce con manque se faire bouffer le pouce.
Daddy lui fracasse la mâchoire avec la crosse de son fusil à pompe. Le Cramé tombe dans les vapes.
— On va bien finir par y arriver, bordel de merde !
— On fait quoi ? je demande aux gars. On se branle la nouille ou on le calme ? Je déconne !
Mais je vois bien que mes quatre lascars n’ont pas le mot pour rire. Ils en ont chié grave ! Ils ont donné tout ce qu’ils pouvaient pour immobiliser le molosse.
Je me tais.
Je prépare mon matériel : scalpel, les différents bains, les pinces hémostatiques, les pinces de dissection, les crochets et séparateurs.
— Vous... vous allez l’endormir ? la ramène le gamin.
C’est le grand jour pour lui, il va falloir passer de la théorie à la pratique. Son premier cas pratique sur un vivant. Je me souviens de moi il y a des décennies, le stress et les questions débiles.
— Non... Tu vois un anesthésiste parmi nous ? On fait dans la boucherie-charcuterie, pas dans la chirurgie esthétique, gamin.
Je clipsela lame de mon scalpel fétiche, la base du manche est un peu oxydée, la lame, elle, est neuve, pas question de bâcler le travail.
Teddy recule, lâche la pression. Il laisse Paulo tirer sur les sangles pour les régler au mieux.
— C’est bon, ça devrait le faire…
Daddy – c’est notre chef de meute – reprend son souffle. Il ramasse d’un revers de manche la bave qui lui coule de la bouche. Il est claqué le pépère. Le Daddy, c’est un ours avec une immense crinière, un tatoué du sol au plafond. Il fixe le Cramé, son ancien lieutenant, un type qui fut son pote, mais qui a mal tourné. Un gars qui va regretter d’avoir joué au con.
Le silence, enfin ! Mes esgourdes remercient le ciel.
Un souffle, celui de mon gaillard, la gueule défoncée.
Mes quatre bikers sont complètement épuisés, écrasés sur mon patient. Ils ruissellent, dégoulinent de sueur. Faut dire, il doit bien faire plus de quarante degrés dans la cuisine et l’autre leur a filé une bonne séance de sport.
Daddy donne un dernier coup de poing. La mâchoire craque un grand coup. Le Cramé se calme enfin.
Teddy et Daddy lui assènent alors une dizaine de coups de poing dans le caisson. Des directs bien secs, pas du jus de lopette.
Faut que je vous dise un truc. Mon client, le Cramé, a tellement perdu de neurones avec toute la cristal meth qu’il s’est foutue dans le nez, qu’il me paraît d’office complètement anesthésié par les coups de battoir et que c’est ça qui fout la merde.
L’apprenti lui, est derrière, il tremble, le teint livide.