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Critique de ManouB


Jacob est un ange sur terre : tout le monde l'aime et l'admire. Il aurait pu avoir du mal à trouver sa place dans l'existence, vu que sa mère lui a donné le prénom d'un de ses frères mort en bas âge...mais non, Jacob a un destin à part. Juif de Constantine, il est beau et chante merveilleusement bien. Ses professeurs l'admirent et toutes les femmes de sa famille le vénèrent.
Il n'a pas besoin d'élever la voix comme le font son père, son oncle ou ses grands frères, pour être respecté par tous et faire oublier la honte d'être pauvre et exclu de ce monde.
Il faut dire que la vie n'est pas toujours facile pour ces juifs Séfarade qui vivent à Constantine et doivent travailler sans relâche pour faire vivre leur famille. Ils s'entassent à plusieurs dans des appartements insalubres et ne parlent qu'arabe tant ils sont bien intégrés à ce pays qui est devenu le leur. Mais à partir de cet été 1944, tout va changer...
Jacob est appelé sous les drapeaux, alors que le lycée se termine à peine, pour y effectuer son service militaire et il doit quitter les siens. Pourtant il avait un temps été exclu du lycée, parce qu'il était juif, suite aux lois prônées par le gouvernement de Vichy et on avait renié sa nationalité française...
Le voilà tout d'abord, parti pour faire ses classes, au fin fond du désert du Togourt. Jacob se retrouve avec des camarades de son âge, des conscrits arabes, français ou juifs...Il découvre la vie en commun, le partage et la promiscuité, auxquels il faut s'habituer, mais aussi et surtout l'amitié.
Puis, il va devoir participer à l'effort de guerre et en particulier, au débarquement en Provence et quitter sa chère terre natale...pour rejoindre les troupes de la première armée du Maréchal de Lattre de Tassigny, chargé de libérer la France.
Jacob et ses camarades vont découvrir et parcourir la France du sud au nord, de la Provence à l'Alsace et libérer les villes sur leur passage. Ils ne savent rien de ce pays et de ses coutumes, ni ce pays des leurs d'ailleurs, mais ils seront acclamés comme des héros.
La violence est partout et Jacob tuera sans réfléchir pour ne pas être tué à son tour. Il verra tomber ses camarades un à un...sans avoir le temps de les pleurer. Il découvrira la peur, la faim, la saleté et acceptera de se battre aux côtés des tirailleurs marocains lorsque son régiment sera décimé.
Mais dès qu'il a un instant, il rêve à ce qu'il fera quand il retournera chez lui, s'il ressort vivant des combats. Il traversera le pont de Sidi M'Cid, c'est sûr ! Il se mariera et aura des enfants et il découvrira l'amour...

Comment expliquer alors qu'après s'être battus ensemble, tous ces jeunes, juifs, français ou arabes d'Algérie, qui ont su vivre pendant un siècle sans heurts, aient pu se déchirer et s'entre-tuer jusqu'à creuser un gouffre infranchissable entre les communautés ?

Valérie Zenatti nous donne ici un magnifique roman sur l'identité, le déracinement, la séparation et la mort.
J'avais déjà beaucoup apprécié son roman paru en 2005 "Une bouteille dans la mer de Gaza".
C'est dans sa façon bien à elle d'aborder les personnages de ses romans et de les faire vivre sous nos yeux, que l'auteur nous touche en plein coeur.
Elle ne nous dit jamais ce qu'on doit penser ou ressentir. Non ! ce sont ses personnages qui nous font entrer dans leur ressenti et dans leur vie quotidienne. Chaque phrase est dite juste avec les mots qu'il faut.
Jacob nous parle avec ses mots à lui, de ses rêves et de ses désirs, et c'est cette naïveté de jeune homme à peine sorti de l'enfance, cette fraîcheur et cette lucidité qui nous touchent.
Et pourtant dans ce roman, la violence de la guerre est là mais elle nous est contée avec le regard d'un "enfant".
La vie est là, à chaque page et le lecteur en sort meurtri à l'idée que le destin fasse tomber dans l'oubli, le héros de ce livre...
Car au-delà de Jacob, c'est l'histoire de l'Algérie qui nous est contée. Celle d'ados jamais sortis de chez eux qui sont partis se battre pour la France. Ils étaient juifs ou musulmans et se sont battus aux côtés de français pour libérer notre pays.
Ils ont laissé des mères éplorées et meurtries qui les ont cherché de caserne en caserne, le panier empli de victuailles, sans que personne ne les informent jamais en les regardant en face, de la destination de leur fils...sans savoir que bientôt cette foutue guerre allait précipiter leur propre exil et le départ de leur pays pour toujours.
Il faut savoir que l'auteur a construit cette histoire à partir d'une photo de famille et des souvenirs que sa grand-mère Madeleine (la belle-soeur de Jacob) lui a raconté.
Ce grand-oncle Jacob, entré dans la légende familiale parce qu'il n'est jamais revenu de la guerre où il a été tué au combat, "mort pour la France" en 1944, au coeur de la forêt des Vosges, lui a permis de s'interroger, à travers ce récit à la limite de la fiction et de l'autobiographie, sur le devoir de mémoire qui est le nôtre.
Elle qui s'est rendue sur les lieux où a vécu son grand-oncle, sa grand-mère et ses arrière-grands-parents, a su nous restituer la ville de Constantine comme si nous y étions, et nous aussi, nous pouvons être envahi par le "goût du citron sur la langue", car la mémoire est en effet ancrée dans nos papilles, dans les odeurs ou les bruits que les souvenirs racontés par nos ancêtres nous ont permis d'évoquer et qu'ils nous invitent à transmettre à notre tour...
Un livre à lire dès l'adolescence...
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