Dans Qui-vive, la narratrice, Mathilde, semble perdre pied dans un monde toujours plus violent et indéchiffrable. Perdant le sommeil, puis le sens du toucher, elle s'arrime à des bribes de lumière des feuillets retrouvés à la mort de son grand-père, une vidéo de Leonard Cohen à Jérusalem, les réflexions douces-amères de sa fille adolescente et décide subitement de partir en Israël pour tenter de rencontrer ce qui la hante. de Tel-Aviv à Capharnaüm puis à Jérusalem, ses rencontres avec des inconnus ne font qu'approfondir le mystère. Trajectoire d'une femme qui cherche à retrouver la foi, ce roman initiatique interroge avec délicatesse le sens d'une vie au sein d'un monde plongé dans le chaos.
À l'occasion de ce grand entretien, l'autrice reviendra sur son oeuvre d'écrivaine où l'enfance et la guerre tiennent une place particulière, ainsi que sur son travail de traductrice.
Valérie Zenatti est l'autrice d'une oeuvre adulte et jeunesse prolifique. Elle reçoit en 2015 le prix du Livre Inter pour son quatrième roman, Jacob, Jacob (L'Olivier, 2014), et le prix France Télévisions pour son essai Dans le faisceau des vivants (L'Olivier, 2019). Son premier roman adulte, En retard pour la guerre (L'Olivier, 2006) est adapté au cinéma par Alain Tasma et réédité en 2021. Elle est également la traductrice en France d'Aharon Appelfeld, décédé en 2018, dont elle a traduit plus d'une dizaine de livres.
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Le latin, comme un jeu, comme une langue qui s’amuse, qui étonne mon père, fait sourire ma mère, à quoi ça sert le latin, à être instruit, à comprendre le français, autrement, il est la loupe qui permet de distinguer les subtilités de la langue, il est le soleil qui fait miroiter les éclats de la langue.
Le jour où je travaillerai dans un hôpital uniquement pour des patients qui auront le cancer, une maladie du coeur, des jambes cassées, ça voudra dire que tout va bien, qu'on a un pays normal. Ca fait trois ans qu'on soigne les blessés par balles, par éclats de missile. Quand j'ai choisi de devenir infirmier, je pensais soulager les souffrances inévitables, celles qui proviennent du dérèglement mystérieux des corps, pas du dérèglement des hommes. Qui va arrêter ça? Et quand?
Chaque début d’année, je les scrutais pour relier leur prénom à leurs traits et distinguais deux catégories d’élèves : ceux qui étaient des esquisses très nettes sur lesquelles on devinait les adultes tout proches. Encore quelques pas et hop, ils auraient pleinement l’allure qu’ils conserveraient peu ou prou une cinquantaine d’années avant d’entamer leur dernière métamorphose, celle qui est inenvisageable pour tous, car s’il est parfois possible d’apercevoir l’adulte niché dans l’adolescent, il est impossible d’augurer le parchemin de la vieillesse – et les autres, aux traits et personnalité serrés dans un bourgeon opaque, dont je me demandais si la fleur allait éclore ou se dessécher.
Il souriait souvent, sans raison particulière, c’était comme des guillemets au début et à la fin de ses phrases, ses yeux se mettaient à briller, son visage s’ouvrait. J’avais l’impression que son sourire se faufilait en ondulant dans mon corps comme une liane douce, se blottissait dans mon ventre et le fécondait pour donner naissance à mon propre sourire.
Un petit bureau, une dernière page écrite, un stylo encore ouvert, des mots tracés à la main d'une écriture que je connais si bien, des lignes penchant de la droite vers la gauche, les derniers mots d'un écrivain sont déjà une relique, une adresse à ceux qui restent, ils ont sans doute la même importance que les millions de mots qu'il a écrits tout au long d'une vie mais ils prennent la valeur bouleversante de ce qui demeure interrompu et à jamais inachevé.
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Aharon disait "l'écriture est une prière ou l'écriture est la musique de l'âme", cela venait de ce maître (Rabbi Nachman). Il s'est arrêté de lire, a attendu quelques longues secondes avant de me dire "Tu vois, je suis persuadé que Kafka avait lu cette histoire, il venait d'une famille juive assimilée, comme moi, mais je sens qu'il avait lu Rabbi Nachman, il avait intégré la culpabilité effroyable des innocents.
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Pourtant, monsieur Baumert leur avait dit que la poésie résiste à tout, au temps, à la maladie, à la pauvreté, à la mémoire qui boîte ,elle s'inscrit en nous comme une encoche que l'on aime caresser...
Nous avons gagné la guerre, oui, mais pour tant et tant d’hommes, de femmes et d’enfants, nous sommes arrivés trop tard.
Le marié-qui-n'avait-pas-eu-le-temps-de-se-marier était abasourdi devant le cercueil. Il a voulu passer l'alliance au doigt de sa fiancée mais le rabbin a refusé, il a dit que la loi religieuse interdit de célébrer une union avec une morte.
Je me demande si la loi religieuse a consacré un chapitre à la conduite qu'il faut tenir en cas de désespoir.
L'importance des livres, et peut-être même leur vérité, se mesure à la trace qu'ils laissent en nous et aux interprétations qu'ils font naître, me semble-t-il.
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