Comme dans ses précédents ouvrages, Staccato (Lamiroy) et Abysse (Bleu d'Encre),
Leïla ZERHOUNI raconte des histoires douloureuses, empreintes d'une rare sensibilité et de purs moments de bonheur, dans une belle écriture et une forme travaillée.
Elle ponctue de poèmes, de rêveries, de lettres ou d'extraits de journaux intimes les chapitres plus narratifs, qui sur un mode différent, donnent voix aux intériorités des personnages. Comme si la vie se renforçait à l'aune des drames qui l'endeuillent, des difficultés qui jalonnent son parcours. Ses livres sont ainsi des contes moraux, avec une prise dans le réel et une attache au merveilleux.
Ici, l'histoire qu'elle raconte s'étend de 1994 à… 2071, c'est-à-dire qu'elle comprend un volet anticipatif qui éclairera a posteriori la partie contemporaine.
Le personnage principal est Ania Loiret, une fille adoptée par la boulangère un peu effacée d'un village ardennais. Par amour des livres, Ania servira dans une librairie-papeterie du village, le Petit Bazar. Aux côtés de madame Kéra, la libraire, elle organisera des concours de reconnaissance de poèmes. Sur les lieux, elle va rencontrer Niko, le garçon dont elle va tomber amoureuse… C'est dire si les livres vont être partout présents dans ce roman.
Ce roman raconte l'histoire de deux «
femmes empêchées », de ces femmes qui ne peuvent prendre en charge leur maternité ou vont jusqu'à l'écourter, puis confier leur enfant à l'adoption. Les destinées de ces femmes sont remarquablement mises en relation, en résonance, en particulier celles d'une mère et sa fille.
Les compagnons de ces femmes abandonnées au moment où le plus fort soutien est réclamé ont dû fuir, par nécessité ou par volonté, sans même savoir qu'ils avaient été ou allaient être pères.
Saïd Chouki, le médecin algérien aidant, durant les années 90 noires, les
femmes empêchées de son pays sera, lui, la victime de jeunes fanatiques. Il incarne le versant protecteur des femmes, plus terrien, a contrario des jeunes hommes évoqués plus hauts et qui ont été les objets de leur rêve, appelés à s'accomplir en dehors de la paternité.
Leila Zerhouni maîtrise son sujet, joue avec les époques, et produit, par des scènes judicieusement choisies, une palette inédite d'émotions vives. le roman ménage, de plus, jusqu'à la dernière page, le suspense.
Un livre émouvant, joyeux, rare, novateur, qui confirme une écrivaine singulière.
Un coup de coeur !