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Critique de jvermeer


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Dès ces premiers articles comme critique d'art, l'audience du romancier est au rendez-vous.
Il débute au Salon de 1866 et publiera dans « L'Événement » et autres journaux presque tous les ans jusqu'en 1881 des jugements sur les toiles du Salon.
L'écrivain a souvent la dent dure pour les artistes. Il fustige les peintres académiques, les Cabanel, Gérôme, Meissonnier, etc. Il saisit parfaitement que la « révolution » dans les arts plastiques imposée par Manet, par Monet et par les autres peintres d'avant-garde qu'il défend et soutient, est d'abord un changement du langage plastique. Il ne s'agit pas de concevoir un tableau comme une sorte de fenêtre ouverte sur la nature, sur les êtres et sur les choses ; c'est d'abord et essentiellement un ensemble de formes et de couleurs.
Comme ses amis, il travaillait « sur le motif » distribuant les êtres et les choses dans l'espace, « dans l'air du tableau ».
Je propose de vous montrer quelques extraits, ci-dessous, des Salons d'Émile Zola. Écrits avec le talent de l'homme de plume célèbre, ils exprimeront, mieux que de longues théories, son état d'esprit et ses préférences durant cette période d'une quinzaine d'années d'effervescence artistique :

A mon ami Paul Cézanne – Mon salon, 20 mai 1866
Il s'agit d'une dédicace adressée à ami d'enfance à Aix, Paul Cézanne.
« J'éprouve une joie profonde, mon ami, à m'entretenir seul avec toi.
[…] Il y a dix ans que nous parlons arts et littérature. Nous avons souvent habité ensemble – te souviens-tu ? – et souvent le jour nous a surpris discutant encore, fouillant le passé, interrogeant le présent, tâchant de trouver la vérité et de nous créer une religion infaillible et complète. Nous avons remué des tas d'effroyables idées, nous avons examiné et rejeté tous les systèmes, et, après un si rude labeur, nous nous sommes dit qu'en dehors de la vie puissante et individuelle, il n'y avait que mensonge et sottise. […] Tu es toute ma jeunesse ; je te retrouve mêlé à chacune de mes joies, à chacune de mes souffrances. […] Nous affirmions que les maîtres, les génies, sont des créateurs qui, chacun, ont créé un monde de toutes pièces, et nous refusions les disciples, les impuissants, ceux dont le métier est de voler çà et là quelques bribes d'originalité. Sais-tu que nous étions des révolutionnaires sans le savoir ? »

Édouard Manet - 1er janvier 1867
Le peintre est très critiqué depuis ses premiers envois au Salon. Zola écrit un long article sur son ami Édouard Manet et son oeuvre qu'il admire :
« Je voudrais pouvoir prendre les sceptiques par la main et les conduire devant les tableaux d'Édouard Manet : « Voyez et jugez, dirai-je. Voilà l'homme grotesque, l'homme impopulaire. Il a travaillé pendant six ans, et voilà son oeuvre. Riez-vous encore ? le trouvez-vous toujours d'une plaisanterie drôle ? Vous commencez à sentir, n'est-ce-pas, qu'il y a autre chose que des chats noirs dans ce talent ? (en référence au chat dans « Olympia ») (…) Riez encore, si vous aimez à rire ; mais prenez garde, vous rirez désormais aveuglement. »

Sur le « Déjeuner sur l'herbe » de Manet :
« le Déjeuner sur l'herbe est la plus grande toile d'Edouard Manet, celle où il a réalisé le rêve que font tous les peintres : mettre des figures de grandeur naturelle dans un paysage. On sait avec quelle puissance il a vaincu cette difficulté. (…) Sur le premier plan, deux jeunes gens sont assis en face d'une seconde femme qui vient de sortir de l'eau et qui sèche sa peau nue au grand air. Cette femme nue a scandalisé le public, qui n'a vu qu'elle dans la toile. Bon Dieu ! quelle indécence : une femme sans le moindre voile entre deux hommes habillés ! Cela ne s'était jamais vu. Et cette croyance était une grossière erreur, car il y a au musée du Louvre plus de cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés des personnages habillés et des personnages nus. »

En 1868, Emile Zola, dans son Salon, fait des commentaires magnifiques à un peintre sans succès à cette période : Camille Pissarro.
Mon Salon, Les naturalistes 19 mai 1868
« Il suffit de jeter un coup d'oeil sur de pareilles oeuvres pour comprendre qu'il y a un homme en elles, une personnalité droite et vigoureuse, incapable de mensonge, faisant de l'art une vérité pure et éternelle. Jamais cette main ne consentira à attifer comme une fille la rude nature, jamais elle ne s'oubliera dans les gentillesses écoeurantes des peintres-poètes.
[…]
Camille Pissarro est un des trois ou quatre peintres de ce temps. Il possède la solidité et la largeur de touche, il peint grassement, suivant les traditions, comme les maîtres. J'ai rarement rencontré une science plus profonde. Un beau tableau de cet artiste est un acte d'honnête homme. Je ne saurais mieux définir son talent. »

L'Evénement illustré, mai 1866, concernant Gustave Courbet :
« Mon Courbet à moi, est simplement une personnalité. le peintre a commencé par imiter les flamands et certains peintres de la Renaissance ; mais sa nature profonde se révoltait, et il se sentait entraîné par toute sa chair – par toute sa chair entendez-vous ? – vers le monde matériel qui l'entourait, les femmes grasses et les hommes puissants, les campagnes plantureuses et largement fécondes. Trapu et vigoureux, il avait l'âpre désir de serrer entre ses bras la nature vraie ; il voulait peindre en pleine viande et en plein terreau. »

Au Salon de 1866, Emile Zola ne mesure pas son enthousiasme pour « La femme à la robe verte » de Claude Monet qui représente sa jolie compagne « Camille » :
« Las de ne rencontrer aucun talent nouveau, lorsque j'ai aperçu cette jeune femme traînant sa longue robe et s'enfonçant dans le mur, comme s'il y avait eu un trou. Vous ne sauriez croire combien il est bon d'admirer un peu, lorsqu'on est fatigué de rire et de hausser les épaules.
Je ne connais pas Monsieur Monet. Je crois même que jamais auparavant je n'avais regardé attentivement une de ses toiles. Il me semble cependant que je suis un de ses vieux amis. Et cela parce que son tableau me conte toute une histoire d'énergie et de vérité.
Eh oui ! voilà un tempérament, voilà un homme dans la foule de ces eunuques. Regardez les toiles voisines et voyez quelle piteuse mine elles font à côté de cette fenêtre ouverte sur la nature. Ici, il y a plus qu'un réaliste, il y a un interprète délicat et fort qui a su rendre chaque détail sans tomber dans la sécheresse. Voyez la robe. Elle est souple et solide. Elle traîne mollement, elle vit, elle dit tout haut qui est cette femme… »


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