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Critique de Nastie92


Zola, ton univers impitoya-a-ble ! ♬
Autres temps, mêmes moeurs ! Nous ne sommes pas au Texas dans les années quatre-vingt mais en France au milieu du dix-neuvième siècle et pourtant, les Rougon et les Macquart n'ont rien à envier aux Ewing.
Arrivisme forcené, intrigues en tout genre, haine féroce entre membres d'une même famille : tous les ingrédients sont là.
Zola a donné vie à de sacrés personnages.
Des personnages dévorés par l'ambition, comme Félicité, désespérée par l'attitude de son fils Pascal. Celui-ci, médecin et chercheur a fixé ses visites à un prix "très modique" et soigne avec dévouement une clientèle populaire. Beaucoup seraient fiers d'avoir un tel fils, mais pas Félicité, qui lui lance à la figure : "Mais d'où sors-tu ? lui disait-elle parfois. Tu n'es pas à nous. Vois tes frères, ils cherchent, ils tâchent de tirer profit de l'instruction que nous leur avons donnée. Toi, tu ne fais que des sottises. Tu nous récompenses bien mal, nous qui nous sommes ruinés pour t'élever. Non, tu n'es pas à nous."
"Tu n'es pas à nous." : formule lapidaire et ô combien révélatrice du caractère de celle qui la prononce.
Des personnages prêts à tout : "La révolution de 1848 trouva donc tous les Rougon sur le qui-vive, exaspérés par leur mauvaise chance et disposés à violer la fortune, s'ils la rencontraient jamais au détour d'un sentier. C'était une famille de bandits à l'affût, prêts à détrousser les événements."
Des personnages sans scrupules, y compris vis à vis des membres de leur famille. Ainsi Eugène parlant à sa mère de son frère Aristide : "Surtout défiez-vous d'Aristide, c'est un brouillon qui gâterait tout. Je l'ai assez étudié pour être certain qu'il retombera toujours sur ses pieds. Ne vous apitoyez pas ; car, si nous faisons fortune, il saura nous voler sa part."
Vous comprenez maintenant pourquoi j'ai évoqué Dallas ?
Zola a la dent dure quand il s'agit de parler de ses contemporains.
Son livre est une fiction, mais une fiction à travers laquelle il décoche ses flèches, fustigeant ça et là tel comportement ou telle catégorie sociale : "Les nobles se cloîtrent hermétiquement. Depuis la chute de Charles X, ils sortent à peine, se hâtent de rentrer dans leurs grands hôtels silencieux, marchant furtivement, comme en pays ennemi. Ils ne vont chez personne, et ne se reçoivent même pas entre eux. Leurs salons ont pour seuls habitués quelques prêtres. L'été, ils habitent les châteaux qu'ils possèdent aux environs ; l'hiver, ils restent au coin de leur feu. Ce sont des morts s'ennuyant dans la vie."
L'auteur attribue quelquefois des paroles ou des pensées à ses personnages, mais l'on sent qu'à travers eux, c'est lui qui s'exprime. C'est souvent féroce, il se régale, et pour le lecteur, c'est jubilatoire. Comme lorsque Pascal vient pour la première fois dans le salon de ses parents : "La première fois, il fut stupéfait du degré d'imbécillité auquel un homme bien portant peut descendre. Les anciens marchands d'huile et d'amandes, le marquis et le commandant eux-mêmes, lui parurent des animaux curieux qu'il n'avait pas eu jusque-là l'occasion d'étudier. Il regarda avec l'intérêt d'un naturaliste leurs masques figés dans une grimace, où il retrouvait leurs occupations et leurs appétits ; il écouta leurs bavardages vides, comme il aurait cherché à surprendre le sens du miaulement d'un chat ou de l'aboiement d'un chien."
Zola sait prendre le temps de décrire, de raconter, quand il le juge nécessaire, mais il sait aussi être très expéditif quand il le veut : "À Plassans, dans cette ville close où la division des classes se trouvait si nettement marquée en 1848, le contrecoup des événements politiques était très sourd. Aujourd'hui même, la voix du peuple s'y étouffe ; la bourgeoisie y met sa prudence, la noblesse son désespoir muet, le clergé sa fine sournoiserie." En quelques mots chacun en prend pour son grade, c'est d'une efficacité redoutable.
Quel talent, quel travail !
En plus de l'intrigue (ou des intrigues), en plus des personnages qu'il a créés, Zola écrit dans une langue extraordinaire. "Que des rois se volent un trône ou que des républiques se fondent, la ville s'agite à peine. On dort à Plassans, quand on se bat à Paris." : pourrait-on mieux exprimer le fait que les petites villes de province restent calmes tandis que Paris s'agite ? Difficilement. C'est précis, c'est concis... c'est parfait !
Zola sait faire un portrait en quelques lignes. le personnage est parfaitement décrit, tant sur le plan physique que sur le plan moral : "Il y avait là trois ou quatre négociants retirés qui tremblaient pour leurs rentes, et qui appelaient de tous leurs voeux un gouvernement sage et fort. Un ancien marchand d'amandes, membre du conseil municipal, M. Isidore Granoux, était comme le chef de ce groupe. Sa bouche en bec de lièvre, fendue à cinq ou six centimètres du nez, ses yeux ronds, son air à la fois satisfait et ahuri, le faisaient ressembler à une oie grasse qui digère dans la salutaire crainte du cuisinier. Il parlait peu, ne pouvant trouver les mots ; il n'écoutait que lorsqu'on accusait les républicains de vouloir piller les maisons des riches, se contentant alors de devenir rouge à faire craindre une apoplexie, et de murmurer des invectives sourdes, au milieu desquelles revenaient les mots « fainéants, scélérats, voleurs, assassins »." Ouille, c'est cruel !
Ou encore, en parlant d'Aristide : "Son intelligence, assouplie par ses deux années de séjour à Paris, voyait plus loin que les cerveaux épais de Plassans." Cette fois-ci, ce sont les petites villes de province dont Zola fait le portrait... peu flatteur.

La fortune des Rougon est le premier des vingt romans regroupés sous le titre "Les Rougon-Macquart". Il en comporte des chefs-d'oeuvre ce cycle ! Et si La fortune des Rougon n'est pas le plus connu, le plus flamboyant, il porte en lui les ingrédients qui feront les merveilles futures.
Pour ceux à qui l'idée de lire Zola ferait peur, je répète ce que j'ai écrit dans ma critique de Madama Bovary :
Si vous croyez que les "classiques" sont de vieux ouvrages poussiéreux et rébarbatifs, plongez-vous dans ce roman, je fais le pari que vous changerez d'avis.
Les "classiques" sont justement classiques parce que leur qualité leur permet de traverser le temps et de nous toucher, nous, lecteurs d'aujourd'hui.
Alors, n'hésitez plus, plongez dans Zola. Tout ce que vous risquez, c'est de vous régaler. Zola n'a rien d'un barbon poussiéreux, bien au contraire. Bien des thèmes abordés dans son oeuvre et dans ce livre en particulier restent très actuels.
Par exemple, lorsqu'il écrit : "La veille du jour où il arrêta Eugène sur le cours Sauvaire, il avait publié, dans l'Indépendant, un article terrible sur les menées du clergé, en réponse à un entrefilet de Vuillet, qui accusait les républicains de vouloir démolir les églises. Vuillet était la bête noire d'Aristide. Il ne se passait pas de semaine sans que les deux journalistes échangeassent les plus grossières injures.", cela vous semble-t-il vieillot ou obsolète ? Pas à moi !
Dans son livre, Zola dénonce l'utilisation de la presse à des fins politiques, et les journalistes qui orientent leurs articles selon leur intérêt (ou selon l'intérêt de ceux qui les soutiennent). Cela n'a rien de dépassé ! Bien sûr, les médias ont évolué, la radio, la télévision et internet n'existaient pas à l'époque des Rougon-Macquart mais ce qu'écrit Zola est terriblement actuel.
De plus, le roman est écrit dans une langue riche, très belle, et terriblement agréable à lire.
Et, cerise sur le gâteau, si Zola sait tremper sa plume dans l'acide quand il le veut, il sait aussi se faire romantique à l'occasion et nous offrir de très beaux passages. Certaines scènes tout en pudeur mais en même temps terriblement sensuelles m'ont surprise, je ne connaissais pas cet aspect de l'auteur.
Décidément, plus je lis Zola, plus je l'aime.
La fin du roman est magistrale, et je termine ma lecture avec la certitude de lire (ou relire) les dix-neuf autres volume du cycle. Quel bonheur de savoir que tant de merveilleuses heures de lecture m'attendent !
Je conclus par une dernière citation pour vous appâter un peu plus :
"Lorsque, à dix-sept ans, Pierre apprit et put comprendre les désordres d'Adélaïde et la singulière situation d'Antoine et d'Ursule, il ne parut ni triste ni indigné, mais simplement très préoccupé du parti que ses intérêts lui conseillaient de prendre. Des trois enfants, lui seul avait suivi l'école avec une certaine assiduité. Un paysan qui commence à sentir la nécessité de l'instruction, devient le plus souvent un calculateur féroce. Ce fut à l'école que ses camarades, par leurs huées et la façon insultante dont ils traitaient son frère, lui donnèrent les premiers soupçons. Plus tard, il s'expliqua bien des regards, bien des paroles. Il vit enfin clairement la maison au pillage. Dès lors, Antoine et Ursule furent pour lui des parasites éhontés, des bouches qui dévoraient son bien. Quant à sa mère, il la regarda du même oeil que le faubourg, comme une femme bonne à enfermer, qui finirait par manger son argent, s'il n'y mettait ordre. Ce qui acheva de le navrer, ce furent les vols du maraîcher. L'enfant tapageur se transforma, du jour au lendemain, en un garçon économe et égoïste, mûri hâtivement dans le sens de ses instincts par l'étrange vie de gaspillage qu'il ne pouvait voir maintenant autour de lui sans en avoir le coeur crevé. C'était à lui ces légumes sur la vente desquels le maraîcher prélevait les plus gros bénéfices ; c'était à lui ce vin bu, ce pain mangé par les bâtards de sa mère. Toute la maison, toute la fortune était à lui. Dans sa logique de paysan, lui seul, fils légitime, devait hériter. Et comme les biens périclitaient, comme tout le monde mordait avidement à sa fortune future, il chercha le moyen de jeter ces gens à la porte, mère, frère, soeur, domestiques, et d'hériter immédiatement."

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