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Critique de Thrinecis


J'avais cette envie de lire L'Assommoir depuis que j'avais vu son adaptation avec le film Gervaise (1956) de René Clément, dans lequel Maria Schell incarne de manière sublime le personnage de Gervaise.
Je l'avais réservé à la bibliothèque mais j'ai dû prolonger le prêt car je l'avoue, j'ai attendu un peu pour le lire... J'ai attendu que les fêtes passent car je craignais que cela soit trop déprimant à l'image de la Terre dont j'ai le souvenir d'une lecture qui donne la sinistrose...

En effet : c'est d'une telle tristesse ! D'autant plus que, connaissant déjà la fin, même les passages plus gais et légers comme la fête de Gervaise ne pouvaient me laisser espérer durablement un peu de lumière et de joie dans le quotidien sordide de Gervaise. Et pourtant, après que Gervaise ait accepté d'épouser Coupeau, les quatre premières années se passent si bien que l'on ose entrevoir pour elle un avenir plus serein, avec juste ce qu'il lui faut pour élever sa famille et vivre décemment. Elle n'en demande d'ailleurs pas plus, toute humble devant la vie, ayant déjà vécu dans sa chair les coups quand elle était petite...

Mais non, la vie s'acharne sur elle, encore et toujours, annihilant en elle peu à peu toute volonté de se relever, de se battre pour se sauver des hommes, ces parasites qui lui mangent son argent, sa boutique et qui lui font perdre toute dignité et moralité. Seule, sans hommes, il est probable que Gervaise aurait pu s'en sortir, comme Denise, l'héroïne du Bonheur des Dames... Mais Zola fait peser sur Gervaise une certaine faiblesse de caractère qui lui fait préférer la facilité à chaque fois que s'offre à elle un choix crucial pour son avenir et celui de ses enfants. A l'inverse de Denise qui refuse toute concession et préfère vivre misérablement mais en tout honneur, Gervaise accepte les compromissions pour un peu plus de confort ou d'argent. Et quand sa vie part à la dérive, l'atavisme de sa famille, la fatidique hérédité de l'alcoolisme resurgit sur Gervaise et devient son seul refuge.

J'en ai voulu à Zola d'avoir tant noirci le tableau, de ne lui avoir rien épargné, mais comme dans Germinal, La Terre ou La Bête humaine, Zola se montre impitoyable avec ses créatures, les poussant à la déchéance, les broyant jusqu'à l'avilissement total. C'est magistral mais d'une telle désespérance…

La grande force du roman réside dans son style : s'appropriant avec talent l'argot du milieu ouvrier, Zola restitue avec un réalisme inouï la vie de cette classe sociale dans toute sa crudité. Quasiment chaque chapitre comporte un morceau d'anthologie et brosse à grands traits violents et crus un métier ou une scène de vie de ce milieu ouvrier : la scène d'ouverture du lavoir, la joute sensuelle des deux forgerons qui se défient avec leur marteau sur l'enclume pour les beaux yeux de Gervaise, l'après-midi de repassage dans la touffeur brûlante de la boutique en juin, les ripailles de la fête de Gervaise qui prennent une dimension homérique en faisant participer toute la rue, la tournée des bars avec Lantier et Coupeau et tant d'autres…

Une oeuvre sublime mais si désespérée que mon roman préféré de Zola sera toujours Au bonheur des Dames !

Challenge Multi-défis 2021
Challenge XIXème siècle 2021
Challenge reçu 5 sur 5 – 2ème édition du 1er février au 31 mai 2021
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