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Critique de berni_29


Magellan, c'est un extraordinaire récit de voyage écrit par Stephan Zweig, qu'il publia en 1938. Mais c'est bien plus qu'un récit de voyage, c'est une admiration, une fascination, un hommage à celui que l'écrivain autrichien considère comme le plus grand explorateur de son temps et peut-être des générations futures.
Nous connaissons tous Magellan, peut-être davantage par le détroit qui porte son nom, au sud du Chili, en Patagonie.
En 1517, Fernand de Magellan, navigateur portugais, connu sous le nom de Fernão de Magalhães, est déjà depuis quelques années un marin aguerri.
Magellan porte un projet, mais ce marin indispose la cour et à commencer, le roi du Portugal, par sa silencieuse fierté. Qu'à cela ne tienne ! Il ira proposer son projet chez le voisin, le rival, l'ennemi : l'Espagne. À cette époque, depuis la découverte de Christophe Colomb, les deux royaumes ibériques à eux seuls, se partagent les océans et les nouvelles terres découvertes par la voie maritime, sur la base d'un arbitrage imposé par le Pape. Le nouveau roi d'Espagne, Carlos 1er, connu plus tard sous le nom de Charles-Quint, est séduit par le projet. Mais quel projet ? Le projet de Magellan est d'atteindre les Îles des Épices, non pas par la route traditionnelle, c'est-à-dire par la route de l'est qui contourne l'Afrique, mais par l'ouest en contournant l'Amérique.
À la lecture de cette très belle biographie de Magellan, je découvre une autre facette de ce grand écrivain qu'est Stefan Zweig.
Aux premières pages de ce livre, je m'attendais à une lecture plus âpre, plus ardue. Mais peu à peu, j'ai été conquis par ce récit, emporté par cette odyssée captivante qui m'a fait faire le tour du monde par les voies maritimes. J'ai été littéralement transporté à bord de cette flotte de cinq navires qui quitte le port de Séville ce mardi 20 septembre 1519, vers des terres inconnues, aux côtés de ces deux cent soixante-cinq marins, dont seulement dix-huit survivants reviendront au même endroit deux ans plus tard. J'ai appris beaucoup sur le contexte historique de l'époque, les événements petits ou grands qui ont accompagné cet exploit.
Mais quelle est cette force inouïe qui pousse ce marin taciturne, impassible, impénétrable à imaginer le secret d'un passage, d'un détroit ? Un rêve capable d'agrandir brusquement l'espace de la mer et de la terre.
J'ai été séduit par le talent de l'auteur, son écriture ciselée, son art de nous entraîner autant dans un récit homérique qu'au plus près de l'âme humaine.
Magellan fait de son destin une oeuvre accomplie. Il façonne son exploit à venir, le construit, tel une oeuvre d'art.
Il n'est pas étonnant que Stefan Zweig fût séduit par ce personnage opiniâtre, hors du commun, faisant autant preuve d'imagination que de maîtrise pour entreprendre la réalisation de son rêve.
Ce voyage à venir est une idée animée par un génie, portée par la passion, transfigurée par le rêve ; tous les ingrédients sont réunis pour faire de Magellan un personnage homérique. Stefan Zweig s'est penché sur ce destin fabuleux pour lui prêter sa plume, mettre son écriture à son service, nous restituer avec beauté le récit de son aventure.
Mais le destin de Magellan n'est pas un long fleuve tranquille. À chaque bonheur vient un malheur, à chaque rai de lumière, une ombre lui fait face.
C'est à croire que les dieux des mers et des terres nouvelles ont voulu soumettre le destin de Magellan à toutes les épreuves possibles et inimaginables.
Ainsi, il n'y a pas que les océans qui regorgent d'écueils et de requins... Naviguer, c'est aussi dévoiler les intrigues, déjouer les complots, se relever des trahisons, affronter les ambitions. Cela commence déjà à quai dans la préparation de l'expédition, cela a déjà commencé à l'ombre du palais royal de Lisbonne, cela se poursuit sur les quais du port de Séville, cela se poursuivra plus tard en mer...
Magellan, marin rusé et soldat aguerri, sait tout cela.
Celui qui maîtrise la science des cartes et de la navigation comme personne, maîtrise aussi la connaissance des siens. En ces temps d'exploration qui suscitent les convoitises et les rivalités, savoir lire les eaux saumâtres de l'âme humaine est aussi important que savoir lire une carte maritime.
C'est peut-être cette stature qui produit l'admiration de l'auteur, plus que l'exploit qui sera réalisé. Mais l'oeuvre n'est jamais si éloignée de la figure de celui qui l'a façonnée...
On le devine alors, c'est la force de l'âme de Magellan qui fascine Stefan Zweig, pour notre plus grande joie de lecteur.
L'exploit n'est pas d'avoir réussi à découvrir ce fameux passage...
L'exploit de Magellan est d'être un jour parti du port de Séville en filant tout droit par la route de l'ouest et d'être parvenu à son point de départ en revenant par l'est, démontrant ainsi que la terre est bien ronde, agrandissant brusquement l'image du monde.
Malheureusement, comme je vous l'ai dit quelques lignes plus haut, le destin de Magellan est fait de lumières et d'ombres qui se côtoient sans cesse... Magellan ne vivra pas lui-même le bonheur, l'ivresse d'achever ce premier tour du monde par les mers aux côtés des siens, aux côtés des quelques rescapés de ce voyage, il n'aura pas la joie d'étreindre dans ses bras sa femme Béatrice et ses deux fils sur le quai du port de Séville. Comment ne pas avoir un pincement au coeur en songeant que lors de l'embarquement du 20 septembre 1519, il serrait pour la dernière fois dans ses bras sa femme enceinte de son second fils? Comment imaginer l'attente de cette femme, son espoir lorsqu'elle apprend l'arrivée d'un seul navire, presque une épave flottante, dans la rade de Séville deux ans plus tard ? Comment imaginer son chagrin devant la joie des familles des quelques survivants ? Tous les chagrins des femmes de marins disparus se ressemblent peut-être, qu'ils soient de célèbres navigateurs ou de simples pêcheurs... Les mots de Stefan Zweig laissent aussi entrevoir cette émotion.
Aux côtés de Magellan, j'ai découvert d'autres destins qui se sont révélés dans cette fabuleuse histoire : je pense notamment à l'esclave Henrique ramené des Îles des Épices une première fois par Magellan et qui lui sera un fidèle compagnon dans cette épopée, au chroniqueur Antonio Pigafetta dont les écrits ont pu aider Stefan Zweig à écrire cette biographie...
Mais alors, qu'advient-il de ce fameux passage...?
Ce détroit s'avère être un véritable labyrinthe peuplé de fjords sinistres où les navires se perdent. Si vous avez la curiosité comme moi de regarder de près une carte du lieu, vous vous demanderez sans doute comment les navires de cette première flottille, et les autres d'ailleurs par la suite, sont parvenus à se frayer un chemin dans ce dédale de falaises et de roches.
Et cette nouvelle route dont le monde entier avait salué avec enthousiasme la découverte, fut peu à peu oubliée... Devint même quelques temps un repaire de pirates, faisant de cette géographie austère une alliée pour se cacher.
Pour autant, l'épopée de Magellan, elle, restera inoubliable. Sans doute le talent d'un biographe comme Stefan Zweig y contribue-t-il encore largement.
Je me suis demandé si Stefan Zweig, écrivain juif devant fuir, dans un exil forcé, qui l'amena jusqu'au Brésil où il écrivit cette biographie de Magellan, avait lui aussi été subjugué par cette symbolique du passage...?
Laissons une fois encore les mots de cet écrivain nous parler : « Un exploit n'entre pas dans l'histoire du seul fait qu'il a été accompli, mais seulement parce qu'il a été transmis à la postérité. Ce que nous appelons l'histoire n'est nullement la somme des événements qui se sont déroulés dans le temps et l'espace, mais seulement la petite partie d'entre eux qui est passée dans l'oeuvre des poètes ou des savants. Que serait Achille sans Homère ? Sans l'historien qui les raconte ou l'artiste qui les recrée sur le plan de l'art les plus grandes figures resteraient à tout jamais ensevelies dans l'ombre et les prouesses les plus héroïques tomberaient irrévocablement dans la mer insondable de l'oubli. »
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