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Critique de isabellelemest


L'auteur a été parfaitement bien inspiré de choisir le président russe Vladimir Poutine comme personnage central de son premier roman, dont l'intérêt a été accru par l'actualité de la guerre en Ukraine. Succédant à une oeuvre déjà fournie d'essais écrits tant en italien qu'en français, cet ouvrage de fiction est censé présenter les confessions d'un certain Vadim Baranov (inspiré, dit-on, par un personnage réel), un imaginaire conseiller occulte proche de Poutine, confiées à un narrateur témoin lors d'une soirée confidentielle dans un manoir retiré non loin de Moscou.

Ce récit prolixe à la 1ère personne retrace non seulement la vie et le passé de Vadim Baranov, mais aussi l'histoire de la Fédération de Russie depuis la chute de l'URSS, et l'arrivée au pouvoir puis l'emprise progressive sur le pays et sur l'État de celui qui est nommé à dessein le Tsar dans le roman pour marquer sa filiation par rapport aux autocrates qui ont gouverné la Russie.

Les faits sont connus et rien de ce qui est narré ou révélé sur la personnalité et le projet de Poutine, sur les défaillances d'Eltsine ou la chute des oligarques qui s'étaient prodigieusement enrichis des dépouilles de l'URSS dans son sillage, rien n'est nouveau car tous ces éléments appartiennent au domaine public et ont été maintes fois analysés : l'auteur ne fait que s'appuyer sur cette abondante documentation.

Mais en se plaçant du côté des initiés et du conseiller qui a l'oreille du président tout puissant, l'auteur fait le choix d'analyser l'histoire et la politique comme faites essentiellement par des grands hommes ou en l'espèce des hommes « forts » (l'adjectif est utilisé sans modération), Ivan le Terrible, Pierre le Grand, Staline, et… Poutine, impitoyables, inflexibles, redoutables et éventuellement sous l'influence de conseillers imaginatifs et cyniques. Et d'ailleurs bien bavards lors de cette confession improbable… Tout cela ne va pas sans le culte du pouvoir et de l'argent, l'ostentation, la gloriole, le goût du luxe effréné ou éclectique, mais toujours prétentieux, que les protagonistes dénoncent d'un ton blasé pour mieux marquer leur supériorité.

Surtout cette conception de l'histoire uniquement fondée sur la personnalité décisive de quelques dirigeants ou potentats, et sur le mépris cynique des foules dont il faut entretenir la rage aveugle pour mieux les manipuler, les dominer et en tirer profit, suppose une étrange méconnaissance ou négation des fondements de la science historique moderne, ne citons pour mémoire que l'école des Annales, reposant sur des données démographiques, économiques, financières, monétaires, climatiques, etc. pour analyser les différents facteurs à l'oeuvre dans l'évolution d'un pays, d'une société. On a envie de dire « It's the economy, stupid ! » à l'auteur, dont on est atterré d'apprendre qu'il enseigne ces conceptions historiques passéistes aux étudiants de Sciences Po.

À cette vision superficielle et datée de l'histoire russe contemporaine correspond un style qui se veut digne des moralistes du XVIIème siècle – les La Rochefoucauld ou La Bruyère – écriture prodigue en maximes destinées à faire date mais dont le cynisme blasé masque à peine la prétention à tout savoir, à tout expliquer par les secrets des puissants, en oubliant l'essentiel, les données sociales brutes, pour se focaliser sur le mythe du grand homme et les arcanes de sa personnalité. Rien d'étonnant à ce que ce roman ait été couronné par la très conservatrice Académie Française.

Un ouvrage qui aurait pu être séduisant mais qui ne provoque que déception et agacement au fil de la lecture.
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