CAGE D'OISEAU
Je suis une cage d'oiseau
Une cage d'os
Avec un oiseau
L'oiseau dans ma cage d'os
C'est la mort qui fait son nid
Lorsque rien n'arrive
On entend froisser ses ailes
Et quand on a ri beaucoup
Si l'on cesse tout à coup
On l'entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot
C'est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d'os
Voudrait-il pas s'envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi
Il ne pourra s'en aller
Qu'après avoir tout mangé
Mon cœur
La source du sang
Avec la vie dedans
Il aura mon âme au bec.
Le jeu
Ne me dérangez pas je suis profondément occupé
Un enfant est en train de bâtir un village
C'est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l'univers.
Il joue
Ces cubes de bois sont des maisons qu'il déplace et
des châteaux
Cette planche fait signe d'un toit qui penche ça n'est pas mal
à voir
Ce n'est pas peu de savoir où va tourner la route de cartes
Ce pourrait changer complètement le cours de la rivière
À cause du pont qui fait un si beau mirage dans l'eau du tapis
C'est facile d'avoir un grand arbre
Et de mettre au-dessous une montagne pour qu'il soit en haut.
Joie de jouer! paradis des libertés!
Et surtout n'allez pas mettre un pied dans la chambre
On ne sait jamais ce qui peut être dans ce coin
Et si vous n'allez pas écraser la plus chère des fleurs invisibles
Voilà ma boîte à jouets
Pleine de mots pour faire de merveilleux enlacements
Les allier séparer marier
Déroulements tantôt de danse
Et tout à l'heure le clair éclat du rire
Qu'on croyait perdu
MA MAISON
Je veux ma maison bien ouverte,
Bonne pour tous les miséreux.
Je l'ouvrirai à tout venant
Comme quelqu'un se souvenant
D'avoir longtemps pâti dehors,
Assailli de toutes les morts
Refusé de toutes les portes
Mordu de froid, rongé d'espoir
Anéanti d'ennui vivace
Exaspéré d'espoir tenace
Toujours en quête de pardon
Toujours en chasse de péché.
ACCOMPAGNEMENT
Je marche à côté d’une joie
D’une joie qui n’est pas à moi
D’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changer de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnie
Mais je machine en secret des échanges
Par toutes sortes d’opérations, des alchimies,
Par des transfusions de sang
Des déménagements d’atomes
par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé,
Je sois porté par la danse de ces pas de joie
Avec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi
Avec la perte de mon pas perdu
s’étiolant à ma gauche
Sous les pieds d’un étranger
qui prend une rue transversale
Des navires bercés dans un port
Doux bercements avec des souvenirs de voyage
Puis on trouve seuls les souvenirs errants
qui reviennent et ne trouvent pas de port
Souvenirs sans port d'attache
Trouvent le port déserté
Un grand lieu vide sans vaisseaux.
SAULES
Les grands saules chantent
mêlés au ciel
Et leurs feuillages sont des eaux vives
Dans le ciel
Le vent
Tournent leurs feuilles
D'argent
Dans la lumière
Et c'est rutilant
Et mobile
Et cela floue
Comme des ondes.
On dirait que les saules coulent
Dans le vent
Et c'est le vent
Qui coule en eux.
C"est des remous dans le ciel bleu
Autour des branches et des troncs
La brise chavire les feuilles
Et la lumière saute autour
Une féerie
Avec mille reflets
Comme des trilles d'oiseaux-mouches
Comme elle danse sur les ruisseaux
Mobile
Avec tous ses diamants et tous ses sourires.
Le pas étrange de notre coeur
Nous rejoint à travers la brume
On l'entend
quel drôle de cadran
Une chambre avec meubles
Le cadran sur la console
Tout cela fait partie de la chambre
On regarde par la fenêtre
On vient s'asseoir à son bureau
On travaille
On se repose
Tout est tranquille
Le jeu
...Une tendre chiquenaude
Et l'étoile
Qui se balançait sans prendre garde
Au bout d'un fil trop ténu de lumière
Tombe dans l'eau et fait des ronds.
De l'amour de la tendresse qui donc oserait en douter
Mais pas deux sous de respect pour l'ordre établi
Et la politesse et cette chère discipline
Une légèreté et des manières à scandaliser les grandes
personnes
Il [un enfant] vous arrange les mots comme si c'étaient de simples
chansons
Et dans ses yeux on peut lire son espiègle plaisir
À voir que sous les mots il déplace toutes choses
Et qu'il en agit avec les montagnes
Comme s'il les possédait en propre.
Il met la chambre à l'envers et vraiment l'on ne s'y
reconnaît plus
Comme si c'était un plaisir de berner les gens.
Et pourtant dans son œil gauche quand le droit rit
Une gravité de l'autre monde s'attache à la feuille d'un arbre
Comme si cela pouvait avoir une grande importance
Avait autant de poids dans sa balance
Que la guerre d'Éthiopie
Dans celle de l'Angleterre.
Nous ne sommes pas des comptables
Tout le monde peut voir une piastre de papier vert
Mais qui peut voir au travers si ce n'est un enfant
Qui peut comme lui voir au travers en toute liberté
Sans que du tout la piastre l'empêche ni ses limites
Ni sa valeur d'une seule piastre
Mais il voit par cette vitrine des milliers de jouets merveilleux
Et n'a pas envie de choisir parmi ces trésors
Ni désir ni nécessité
Lui
Mais ses yeux sont grands pour tout prendre.
"Je marche à côté d'une joie
D'une joie qui n'est pas à moi
D'une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joie
J'entends mon pas en joie qui marche à côté de moi
Mais je ne puis changé de place sur le trottoir
Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c'est moi" p.85
LES SAULES
La tête penchée
Le vent peigne leurs chevelures longues
Les saules au bord de l'onde
Les agite au-dessus de l'eau
Pendant qu'ils songent
Et se plaisent indéfiniment
Aux jeux du soleil dans leur feuillage froid
Ou quand la nuit emmêle ses ruissellements.