Si, un jour, une œuvre musicale était composée sur Birkenau, le sifflement désaccordé des barbelés devrait en être le leitmotiv.
Un silence absolu règne sur le camp. Même les grands seigneurs, habituellement pleins de superbe, paraissent intimidés. Il s’agit sans doute du calme qui précède l’hécatombe.
Tous apprêtés et préparés pour le combat, les armes à la main et les chiens au pied, car voici qu’arrivent les dangereux ennemis, des enfants, des femmes et des hommes sans défense qui, apparemment, menacent l’Allemagne et sa race de seigneurs.
Je vis aussi parce que j’ai transformé la douleur en moteur et je ne me suis pas résigné à la mort à laquelle les Allemands nous ont condamnés. Je ne me suis pas résigné à mourir comme un agneau.
Je suis un grand pécheur qui vit de la mort de notre peuple, mais je laverai mes péchés avec mon propre sang, avec le témoignage que ces pages apporteront au monde, avec le témoignage qui rachètera notre honneur.
On pouvait tout acheter à Auschwitz avec l’or des gazés.
Ils avaient cessé d’être des hommes et étaient devenus non pas des bêtes, mais des machines.
Les parents échangèrent un regard; ça aurait presque été comique si ce n’était pas si grave. Le pain et les pommes de terre s’étaient transformés à Birkenau en symbole d’abondance. Seuls les privilégiés en mangeaient.
-- Hommes du Sonderkommando, cria le Hauptscharfürer Moll. Nous allons procéder à un transfert vers Lublin, où il y a plus de travail qu'ici. Les prisonniers que je vais appeler doivent se regrouper devant le mur. Une rumeur inquiète parcourut le groupe. Le mot transfert fit trembler tout le monde. Le travail dans les crématoires avait considérablement diminué depuis que les convois en provenance de Hongrie avaient cessé. Sans travail, les hommes du Sonderkommando n'étaient plus nécessaires. Ils se méfièrent. A quoi rimait cette histoire de Lublin ? S'agissait-il vraiment d'un transfert dans un autre camp ? Ou bien d'une liquidation pure et simple ? La duplicité des Allemands était largement connue de tous. Ils les voyaient chaque jour tromper les victimes des chambres à gaz et ils savaient qu'ils utiliseraient aussi la ruse lorsque que sonnerait l'heure du Sonderkommando.
[...] Levin sentit une goutte de sueur se former sur ses tempes et descendre en zigzaguant le long de sa joue droite. Il avait les yeux baissés, les paupières lourdes ; sa peur était telle qu'il pouvait à peine respirer. D'un rapide coup d'oeil, il se rendit compte que l'anxiété était générale. La tension dans les rangs était devenue si dense qu'elle en était palpable.
Ils se sentaient unis par des liens invisibles. Des frères. Ce qui arriverait à l'un d'eux arriverait à tous. Levin le sentait et ses compagnons le sentaient aussi ; ils étaient nombreux, mais ne formaient qu'un. Une conscience, une volonté, une force. Un. En s'en prenant à l'un d'eux, les Allemands s'en prenaient à eux tous. La révolte commencerait. Là. A ce moment-là. Malheur à eux s'ils osaient. Malheur à eux !
Il ne s'agit pas simplement de la honte d'être en vie alors que ma famille est morte, alors que tant d'autres familles sont mortes, alors que j'ai collaboré directement ou indirectement à toutes ces morts en tant que Sonderkommando. Certes, c'est aussi cela, mais c'est plus que cela. Beaucoup plus. La vraie honte, la grande honte, c'est de vouloir encore vivre.