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Dans le rétro : interview de Fabrizio Dori
Quelques questions à propos de Le Dieu vagabond
 
Article publié le 25/11/2019 par Nicolas Hecht, mis à jour le 20/10/2023

 

 

Empreintes de mythologie et de fantastique, les bandes dessinées de Fabrizio Dori sont comme une porte vers un « autre monde », à l'image de son livre sur Paul Gauguin qui portait d'ailleurs ce titre. Au-delà d'un simple récit d'images et de mots, l'auteur-dessinateur italien donne à vivre une expérience riche en sensations, de ces livres que l'on a envie de relire dès la dernière page tournée. Dans Le Dieu vagabond, il pousse la logique encore plus loin, en imbriquant mythologie personnelle (comprendre : les artistes qui l'ont influencé) et mythologie grecque, le tout transposé dans le monde contemporain. Ou quand les dieux sont aussi des vagabonds, quand le divin côtoie le trivial, et que les Hommes cherchent du sens dans tout ça. Nous avons justement voulu comprendre dans cette interview quel sens Fabrizio Dori donne à son travail, et comment il procède pour inventer ces récits aussi profonds que troublants.

 

Depuis cette interview, il a signé deux autres titres : Le Divin Scénario avec Jacky Beneteaud au scénario (chez Actes Sud), et Le Fils de Pan en 2023, racontant la suite des aventures du héros du Dieu vagabond, Eustis. Une bonne occasion pour redécouvrir notre interview de l'auteur.

 



Après votre bande dessinée sur les dernières années de la vie de Paul Gauguin, Gauguin : L'Autre Monde (Sarbacane, 2016), on vous retrouve avec Le Dieu vagabond chez le même éditeur. Comment est né ce nouveau projet, cette nouvelle quête d’absolu ?


Les histoires que je réalise naissent toujours d’une image qui se manifeste spontanément dans mon esprit. Dans le cas du Dieu vagabond il s’agissait de la silhouette d’un satyre qui, enfoncé dans la nuit, à la lumière des étoiles, courait dans les bois. J’ai commencé à dessiner cette scène (qui maintenant se trouve dans les premières pages du livre) sans rien savoir de l’histoire que je souhaitais raconter. Etant convaincu que cette apparition allait me mener quelque part, je me suis engagé à la questionner et après un an de réflexions et d’écriture est né le scénario du Dieu vagabond.

J’ai compris que pour moi, la narration est avant tout une modalité de la pensée. Il s’agit d’explorer et développer des idées en suivant non pas un parcours rationnel, mais une espèce de (dés)ordre poétique. La raison est nécessaire pour organiser et structurer le récit et à cette phase je ménage une très grande importance, mais les idées et les images viennent d’autre part, et pour les cueillir il faut un acte d’humilité. C’est indispensable de céder le contrôle pour ça.

 

 

 

Le Dieu vagabond met en scène un satyre, Eustis, puni par Artémis et contraint de vivre parmi les humains. Il va chercher à redevenir une divinité, et c’est cette quête parmi les Hommes et les dieux que nous suivons. Ainsi, le trivial et le divin sont souvent intriqués dans le récit, et au-delà on sent un véritable hommage aux croyances et à la philosophie antiques. Etes-vous passionné par ces thèmes ? Y avait-il un message en particulier que vous vouliez faire passer à travers cette bande dessinée ?


En observant mes histoires a posteriori, je me suis rendu compte que d’une certaine manière elles sont les filles de la même faute, qu’elles vivent les mêmes désirs, qu’elles mènent toujours dans les mêmes endroits. Dans Gauguin : L'Autre Monde je parle d’un homme qui fuit la modernité et qui est à la recherche d’un paradis perdu. Dans Le Dieu vagabond je parle d’un groupe de divinités grecques qui ont survécu à leur époque, et vivent à la lisière d’une grande ville contemporaine. Je parle des exclus et d’une façon de regarder la réalité qui ne nous appartient plus. Dans les deux cas je me retrouve à explorer ce que notre culture a refoulé, avec la conviction profonde qu’on peut trouver là l’énergie en mesure de revitaliser notre façon de penser et habiter le monde.


Graphiquement, l’album est extrêmement riche et flamboyant, on y trouve des hommages aussi bien à des peintres des XIXe et XXe siècle (Vincent Van Gogh, Amedeo Modigliani, Katsushika Hokusai, Georges Seurat, Otto Dix), mais aussi au manga – on pense parfois à Taiyou Matsumoto. L’idée était-elle de créer votre propre mythologie de la BD en convoquant tous ces artistes ?


Tout simplement, je puise dans ce qui compose mon « paysage mental ». C’est une façon d’agir que je mets à exécution d'instinct. Ca fait de moi un auteur spontanément, et peut-être inévitablement, postmoderne. Je procède par connexions, je mets en relation les choses… les images, les mots, les idées. C’est comme si j’étais engagé dans un dialogue continu, inépuisable, un dialogue qui renvoie toujours à autre chose, qui s’ouvre continuellement à de possibles nouveaux sens, dans une tentative de saisir quelque chose qui probablement n’est pas saisissable.

 

Vous avez étudié aux Beaux-Arts en Italie et travaillé dans le domaine de l’art, avant de vous consacrer à la bande dessinée. Votre œuvre évoque un pont jeté entre ces deux univers. Le « passage » de l’un à l’autre a-t-il été évident pour vous ? Si vous deviez tracer une frontière entre art pictural et BD, où se situerait-elle ?


Quand je travaillais dans le domaine de l’art je réalisais des grandes toiles, avec une approche très différente de celle qu’on peut voir dans mes bandes dessinées. Je peignais en utilisant des rouleaux pour badigeonner, des peintures acryliques et des peintures laquées. J'ai essayé d'obtenir un effet froid, aseptique, proche du design, je représentais des objets imaginaires sans fonction ni but. C’était une façon de fixer sur la toile l’absurdité, le manque de sens.

Le passage à la bande dessinée a pour moi signifié mettre à exécution une inversion totale de direction (à l’époque ceci ne m’était pas apparu clairement, je le comprends maintenant). Ce que j’étais en train de chercher, ce dont j’avais besoin, c’étaient des histoires. Avec la narration je suis revenu à donner une signification aux choses, à faire de la réalité un lieu où je peux habiter. Ceci a été mon parcours, ma « traversée » d’un domaine à l’autre.

Et en ce qui concerne l’idée de tracer une frontière entre l’art pictural et la BD, pour moi ce n’est pas très pertinent de tirer des limites, c’est plus intéressant de les dépasser.


Quels sont les moyens techniques que vous avez utilisés pour réaliser Le Dieu vagabond ?


Je travaille en numérique parce que je veux le maximum de contrôle possible sur le résultat final, sur le livre imprimé. Je pense que dessiner pour la bande dessinée, signifie dessiner en fonction de l’imprimerie, car c’est le livre imprimé qui finira dans les mains du lecteur, donc mon attention est toute dirigée dans cette direction.

 

 

 

Vous avez reçu en octobre 2019 le prix Ouest France/Quai des Bulles pour ce livre. La reconnaissance du milieu de la BD est-elle importante dans votre parcours ?


De toute évidence j’étais très heureux de recevoir le prix, savoir que ton travail est apprécié c’est une bonne chose pour le moral. J’ai commencé tard et comme autodidacte à faire des bandes dessinées. Je m’y suis jeté de façon téméraire, j’ai quitté mon travail sans savoir où cette nouvelle route me conduirait. J’ai rencontré pas mal de difficultés ; trouver un éditeur intéressé par mes bandes dessinées n’a pas été facile, et pendant longtemps il m’a semblé que les choses étaient vraiment mal parties... par conséquent, tout ce positif qui arrive aujourd'hui est particulièrement bienvenu.


Dans Gauguin : L’Autre Monde, on peut lire, sortant de la bouche du peintre : « J’ai passé ma vie à la recherche d’une formule, d’une clé pour accéder au grand Art mythique et primitif. J’ai cherché à donner une forme aux images des origines, mais en les réintégrant dans le langage de l’homme moderne. J’ai cherché à ramener dans notre époque ce qu’on avait perdu, ce qui lui faisait défaut. » Est-ce la mission que vous vous donnez, vous aussi ?


Pour les dialogues de Gauguin : L’Autre Monde j’ai souvent utilisé les paroles de l’artiste en puisant dans des témoignages écrits qu’il nous a laissés (lettres, livres), mais il y a deux ou trois moments dans le récit dans lesquels j’ai écrit de manière explicite ce qui était ma lecture de l’art et de la psychologie du peintre. Ceci est un de ces moments. L’expression « une formule, d’une clé pour accéder au grand Art mythique et primitif » est de Gauguin, mais le reste de la phrase est le sens que je donne à sa recherche. Il s’agit donc de mon interprétation et si, en quelque façon, elle a affaire avec moi, c’est probablement l’un des motifs pour lesquels je me suis décidé à raconter cette histoire.




Quelques questions à propos de vos lectures

 

Quel est l’ouvrage qui vous a donné envie d`écrire et/ou de dessiner ?


Les livres qui m’ont fait comprendre qu’il existait un genre de bande dessinée que j’aurais voulu faire (en plus d’aimer en lire) sont : Les Incidents de la Nuit, tome 1 de David B. et Le Petit Monde du Golem de Joann Sfar.


Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire et/ou de dessiner ?


Little Nemo. Je considère Winsor McCay comme un vrai génie de la bande dessinée.

 

 

 

Quelle est votre première grande découverte livresque ?


La première ? Honnêtement je ne me rappelle pas… je peux dire qu’étant jeune j’aimais la science-fiction, des auteurs comme Ray BradburyAlfred BesterPhilip K. DickBruce SterlingWilliam Gibson.


Quel est le livre/la bande dessinée que vous avez relu/e le plus souvent ?


Peut-être L'Homme révolté d’Albert Camus.


Quel est le livre/la bande dessinée que vous avez honte de ne pas avoir lu/e ?


Dans le passé j’ai lu beaucoup de littérature, mais depuis plusieurs années je lis principalement des essais. Je vis ça avec un certain sentiment de culpabilité parce que de mon côté, je continue d’écrire des histoires.

 

 

Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?


Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une perle méconnue, mais c’est une BD que je ne connaissais pas, que j’ai découverte récemment et qui m’a frappé : Vive la marée ! de Pascal Rabaté et David Prudhomme. Elle a la délicatesse d’un film de Jacques Tati et une façon très intelligente d’utiliser le langage de la bande dessinée. J’ai adoré.




Quel est le classique de la bande dessinée ou de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?


Je crois que de classiques surestimés il n’y en a pas : si un ouvrage a résisté à l’épreuve du temps ça signifie que, d’une façon ou d’une autre, il a eu un rôle, son importance. On pourrait éventuellement parler d’ouvrages contemporains à la réputation surfaite, mais heureusement ce n’est pas l’objet de votre question !


Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?


Non… non, il y en a trop !


Et en ce moment que lisez-vous ?


En ce moment je ne suis pas en train de lire parce que je suis en train d’écrire… et quand j’écris je n’arrive pas à lire.




Découvrez Le Dieu vagabond de Fabrizio Dori aux éditions Sarbacane

 

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