#SalonDuLivreDeMontreal #slm2022
Ronald Lavallée présente Tous des loups
Le vent est froid, le soleil tiède. Le chant hypnotique du bruant est reparti jusqu'à l'automne. Les juncos charbonneux volettent de branche en branche, avançant vers l'Arctique par sauts de 15 centimètres. Les mouettes se disputent les carcasses de poissons dégorgées par la glace. Jour et nuit, les oies passent en altitude. À 24 ans, Matthew Callwood s'étonne que les saisons se succèdent si vite, que le balancier migratoire marche aussi frénétiquement. Il n'y a donc rien, sur cette planète, qui se repose vraiment ? La vie lui file entre les doigts et il n'a encore rien fait.
Les grands peupliers respirent à pleins poumons au-dessus du toit.
Le ciel s'est recouvert d'amas grisâtres, comme de la bourre s'échappant d'un matelas crevé. La forêt paraît sombre, inamicale.
La rivière est en travail. La glace craque, grince et couine. De lourdes échardes s'élèvent hors de l'eau, exposent des fanons de cristal qui scintillent au soleil.
Le ciel gris s'éteint derrière les arbres.
Il y a un bosquet de trembles chétifs, plumés par le vent, de l'herbe rugueuse, un étang couleur de tourbe qui se perd dans les quenouilles, et des épinettes noires en toile de fond.
Les épinettes se momifient sur pied, patiemment séchées par le vent éternel. La nuit, les hommes allument de grands feux qui crachent des étincelles et font monter des nébuleuses inédites parmi les constellations.
Des rafales couchent les grandes herbes brunes. Au ciel, le Bouvier tire à lui sa couverture de nuages. Quelques gouttes de pluie se mêlent aux grains de sable qui traversent la nuit comme de la mitraille.
La rivière est en travail. La glace craque, grince et couine. De lourdes échardes s’élèvent hors de l’eau, exposent des fanons de cristal qui scintillent au soleil. Dans les tournants, sur les hauts-fonds, où la glace accroche le gravier, les plaques neigeuses grimpent les unes sur les autres pour exhiber ses dessous en rayons de miel. De temps en temps, de sourds déchirements retentissent au loin quand un convoi de glaciers qui a pris quelque vitesses vient emboutir une colonne immobilisée.
Voilà l’ordre naturel qui nous a créés. La domination des faibles par les forts. La cruauté sans états d’âme. La soif du sang. C’est nous. Tout craché. Pourquoi les hommes seraient-ils moins féroces que les loups ? Pourquoi plus justes ? On est pétris de la même matière, issus de la même évolution. De qui ce moque-t’on ? Il n’y a qu’une seule loi qui vaille dans ce monde, et c’est la force. Mais on ne veut pas la voir. On ne veut pas se voir.