Pour toi, j’ai été toutes les femmes. D’une toile à l’autre, j’ai endossé toutes les jupes. Habillée, déshabillée, brune puis blonde, parfois même rouquine […] j’ai été l’amante, la passante, la cliente, j’ai tenu tous les rôles, moi qui voulais être comédienne, j’ai été servie."
Cette toile, " Les Noctambules ", ce sont toutes les histoires possibles, tout le vide de nos vies, étalées à la vue du monde.Celles de deux tueurs à gages qui attendent leur victime, un ex- boxeur, dans une brasserie.Celle de la femme en rouge,moi, qui retrouve dans ce bar un amant disparu, revenu, tout se passe au ralenti, tout est dans le non-dit,dans les interstices, dans ce qui ne se passe pas et ce qui se passe.Ici pas de tourbillons ni de retrouvailles, juste des oiseaux de nuit, et un soir d'été qui tombe, qui traîne des pieds, tous, le regard dans le vide.
( p.33)
Un jour, je me remettrai à peindre, c'est promis, juré, craché. Un jour je sortirai de ce trou, de ma vie avec toi, cette vie sans toi, même quand tu es là. Un jour je sortirai de terre, en remuant les os, je cesserai d'être petite et ronde, tassée comme un boulet de canon, sans berges ni grands larges, pleine de courbatures et de ratures. Un jour, je sortirai de cette maison qui n'en est pas une et, sur le seuil de la porte, le vent me giflera pour me réveiller une fois pour toutes, les nuits dormiront enfin debout et rêveront tout haut, très haut.
( p.19)
Un pas de deux. Ainsi devait s’intituler notre histoire. Notre chorégraphie pitoyable. Deux partenaires désajustés, l’un trop grand, l’autre trop petit, nos corps qui n’ont jamais réussi à s’imbriquer l’un dans l’autre, à s’ajuster aux creux, aux angles. Une vie à deux et seuls.
Il est des moments qui sont ainsi, ils entrent dans nos vies sans crier, à peine un froncement, et nous chamboulent de haut en bas, d'est en ouest, dans toutes les directions, des moments qui se transforment en destin, on se rencontre, on se touche, et parfois se retouche, puis c'est l'embardée, les années pleuvent, et un jour on s'éteint, on renonce à tuer le temps, et c'est lui qui nous uppercute, qui nous crache au visage, de toute manière la vie a cessé, depuis longtemps, d'être une fête, une berge, une colline, ici c'est plutôt un terrain vague, une décharge à ciel ouvert, la vie comme un coup de dés, un lancer qui n'abolit rien, pas même ce bazar entre nous, cette maison trop large, ce ciel trop haut, tous ces jours impairs qui font la gueule, mourir le plus tard possible à quoi bon, si tout est déjà parti.
Le plus difficile n’est pas de dormir seule mais à deux en étant seule. Dormir sans dormir. Se trouver à quelques centimètres l’un de l’autre, à quelques effractions de seconde mais qui sont infinies, autant d’années-lumière. Alors les souvenirs de l’enfance remontent à la surface, les choses de la vie, celles qui serrent la gorge, celles qui coulent de source, qui nouent, qui ne lâchent pas prise. Au début tout glisse, toi et moi sommes ce couple de patineurs, assortis, brillants, costumés, serrés, corsetés, la jupe s’envole, nos corps prennent leur élan, montent, retombent, tandis que toi, mon cavalier, les cuisses dures, tu me tiens par la ceinture.