Andraroc

Alice, tu ne vis pas, tu survis uniquement. Et, il est grand temps que tu te réveilles, sinon tu vas complètement passer à côté de ta vie et du temps précieux dont tu disposes ! Heureusement que tu peux compter sur moi, eh oui, même morte ! Quelle aubaine !

Chapitre 6 :

«… Le trentenaire a un geste de recul, le temps que son cerveau réalise. Il est en train d’halluciner ou cette gamine vient de l’insulter à l’instant ?
Il garde son sang-froid et ne riposte pas, il a changé et n’est plus celui du passé. En plus avec ce nouveau boulot, ce n’est vraiment pas le moment de faire des vagues.
— Je suis désolé, dans l’euphorie de l’emménagement, je n’ai pas fait attention à l’heure, s’explique-t-il avec un sourire d’excuse un brin séducteur, pensant l’amadouer.
Les traits de la jeune femme se radoucissent et ses yeux verts semblent moins en colère. Tristan doit bien admettre qu’elle est plutôt jolie, avec ses cheveux couleur corbeau et son teint pâle.
— OK, merci de faire ça la journée les prochaines fois. Au revoir, lâche-t-elle d’une voix glaciale.
— Attendez une seconde, c’est un peu impoli de venir sonner chez son voisin sans se présenter.
Elle se retourne et le regarde d’un air stupéfait :
— Non, mais j’hallucine ! C’est vous qui me parlez de politesse, avec le bordel que vous avez foutu ? Je ne pensais pas que le clown du coin avait emménagé à côté de chez moi. Quelle aubaine ! Vous me faites quoi, là, une démonstration gratuite de vos talents ?
L’homme lève les yeux au ciel, reste silencieux et la fixe d’un air impatient.
— Raven Carpenter, souffle-t-elle.
La jeune femme s’éloigne et s’engouffre dans son appartement.
— Enchanté aussi, Raven ! répond-il avec une once d’ironie, avant de claquer sa porte...»

Chapitre 9 :

«… Il referme le battant derrière elle :
— Viens ici, on doit parler, précise-t-il en désignant une chaise vers le bureau.
— Depuis quand on se tutoie ?

— Depuis que tu m’as traité de con, il y a deux jours, répond-il, amusé. Mais devant le groupe, on se vouvoie, pas la peine que les autres se fassent des films.
Elle prend une mine écœurée et ajoute :
— Je t’écoute, on ne va pas y passer la soirée.
— Non, je te rassure, j’ai de meilleurs projets que celui de me laisser emmerder par une gamine en colère.
Elle est piquée à vif par sa remarque et s’apprête à répondre, lorsqu’il lui demande d’un ton plus calme :
— Pourquoi as-tu bu avant de venir ici ?
— J’y crois pas… Tu as fait tout ça, juste pour savoir. Ça ne te regarde pas ! Si tu penses que je vais nourrir ta petite curiosité, tu te mets le doigt dans l’œil.
Tristan retient son agacement, il ne supporte vraiment pas sa manière de lui parler et de le toiser avec cet air hautain.
— Comme tu n’es pas très coopérative, nous allons passer au plan B. Je ne pensais pas en arriver là, mais tu m’y obliges ...»

La colère, la rage et la frustration cohabitent de manière permanente dans son esprit et son cœur. Ces sentiments se traduisent la nuit par des crises d’angoisse, des spasmes, des cauchemars et des réveils en pleurs alors que, durant la journée, ils se transforment en agressivité et en violence.

« Fais-moi confiance, je ne te blesserai pas. »
Ces mots glacent le sang de Raven, ils représentent tout ce qu’elle refuse d’entendre. Toutes ses peurs remontent et lui explosent au visage. Et puis, c’est quoi, cette chaleur qu’elle ressent au creux du ventre depuis qu’il la tient contre lui ? Trois ans qu’elle n’a plus laissé personne la toucher ainsi ; trois ans, qu’elle ne s’est pas abandonnée dans les bras de quelqu’un. Mais là, même après cette scène, elle ne peut pas l’accepter. Non, et puis il reste son médiateur, il va s’en servir pour sa thérapie, il agit simplement par conscience professionnelle. La jeune femme ne veut pas être trahie à nouveau et, pour cela, elle n’accorde ni sa confiance ni son cœur.

Tout dans cette institution respire l’argent, tant par la grandeur de ces salles et amphithéâtres que par l’impressionnante architecture de l’édifice en pierre. Les couloirs et les escaliers sont en marbre et d’autres nobles matériaux sont disséminés dans l’ensemble des lieux. Tout ceci lui donnant un arrière-goût ridicule de richesse distribuée à mauvais escient, gaspillée pour flatter l’ego des familles américaines.

Son principal problème est sa relation avec les autres, donc, si elle n’en entretient pas, il est difficile de progresser sur le sujet. D’où la négociation de sa participation à ce collectif de parole pour échapper à la psychanalyse. Même ses parents y ont cru et placé leurs espoirs en cette nouvelle thérapie. Mais ici non plus, elle ne parle à personne, se contentant de suivre les séances, recluse dans sa bulle.

Le regard qu’il lui lance la refroidit immédiatement. Elle ne le reconnaît pas, jamais il ne s’est montré si distant et glacial avec elle. La jeune femme panique, l’espace de quelques secondes. Et si elle perdait l’unique personne sur qui elle peut compter aujourd’hui ? Alors, dans un geste désespéré, Raven se hisse sur la pointe des pieds et attire le visage de Tristan contre ses lèvres. Elle n’a pas réfléchi et n’est pas en mesure de le faire. Elle sent le corps de son compagnon se tendre et céder à la caresse de sa langue. Puis, ses mains puissantes repoussent sa taille.
— Je suis désolé, Raven. Mais arrête ça tout de suite. Toi et moi savons que ça ne rime à rien. Nos positions respectives ne permettent pas de nous conduire ainsi, conclut-il d’un air détaché.
Puis il se retourne et pénètre chez lui sans un regard pour la jeune femme. Elle est sous le choc, d’une part de l’audace dont elle a témoigné et d’une autre par la façon dont il vient de la rejeter.
L’étudiante blessée se laisse glisser contre le mur du couloir et prend sa tête entre ses mains. Elle a une envie incommensurable de hurler sa rage.

— Je suis fier de toi, murmure le médiateur, comme par peur de rompre cet instant.
L’étudiante esquisse un léger sourire qu’il ne peut pas voir. Cette simple phrase heurte son âme, cela fait tellement longtemps qu’elle ne l’a plus entendue de la part de quelqu’un, oubliant cette infime chaleur qu’elle procure. Elle sent immédiatement cette microfissure attaquer sa carapace.

Un job à temps partiel, il n’y a que cette solution pour s’émanciper et préparer l’approche de sa majorité. Raven n’aura ses vingt et un ans qu’à la fin de l’année et, tant qu’elle est mineure, elle dépend inexorablement de ses parents. Pourquoi a-t-il fallu qu’elle naisse en Amérique, alors qu’en Europe l’âge légal est entre quinze et dix-huit ans ?