— Tu sais ce qu’on dit, intervient-il avant moi. La vengeance est un plat qui se mange froid. Je n’en ai pas fini avec toi.
OK blondinet, on oublie les excuses. Je me rappelle mieux pourquoi son nez est boursoufflé.
— Si tu veux. Mais si ça peut te réconforter, ta nouvelle voix te donne un petit côté star américaine, je souris avec moquerie. Toi qui rêves d’être dans la lumière, lance-toi !
Nicolas me répond par un doigt d’honneur. Je jette un coup à la pendule et contourne le bar. Il est l’heure pour moi d’aller bosser.
— Camille, attends.
Je me retourne instinctivement vers lui. J’ai à peine le temps de le voir debout devant moi, qu’une douleur cinglante dans l’entrejambe me coupe le souffle.
Bordel de putain de merde !
— Là, elle sera vraiment de travers, termine-t-il avec suffisance.
Il referme la porte du placard du bar qu’il m’a envoyée dans le service trois-pièces.
— Espèce de sale petite merde ! je grogne.
Incapable de rester debout, je prends appui sur le bar. Je vais l’exploser, réduire son visage tout entier à un ballon boursoufflé et sanglant ! Va crever, Nicolas Stevenson !
Son rire fier résonne dans l’appartement quand il quitte la cuisine, et je me promets une chose : plus jamais je ne le laisserais m’attendrir.
- La prochaine fois que tu prends un bain, je jouerai les maîtres-nageurs ! lance-t-il alors que je retourne dans la maison.
Je me tourne vers lui.
- Tu vas me surveiller depuis une chaise haute, avec ton paquet moulé dans un slip de bain ?
- Non, ce bain, je le prendrai avec toi.
Il mène la cigarette à sa bouche. Cette même bouche qui vient d'envahir la mienne.
- En fait, t'as juste besoin d'une excuse, je rétorque, agacé. Le livreur doit vraiment te manquer.
- L'excuse est pour toi, pour t'aider à supporter l'idée.
- C'est ça.
Il lâche un rire depuis la terrasse. Un rire que je sens se prolonger dans les recoins de ma bouche, vibrant contre mes dents et se faufilant dans ma gorge. Là où une part de Jordan vient d'emménager.
Je déteste qu’il me regarde comme ça.
Je déteste qu’il soit si inquiet pour moi.
Je déteste que ça me fasse plaisir.
Alors si Jordan est le visage du mal, je suis prêt à embrasser le diable à pleine bouche. Je le mordrai et y mettrai la langue, j'avalerai sa salive et m'empoisonnerai avec ses baisers ardents.
Ce sont nos décisions qui modèlent notre destin. Il n'existe pas de chemin tout tracé, c'est à nous de le créer.
La violence a toujours mieux marché avec moi. C'est à elle que j'aurais dû faire confiance. La diplomatie n'est qu'une salope aguicheuse.
Nous sommes bons, mauvais, doux, féroces, et une infinité d’autres choses encore. Nous sommes un champ de bataille où le bien et le mal se disputent une guerre interminable, ignorant que ce bain de sang n’aboutira à aucune victoire. Et on aura beau essayer de faire ce qu’il faut, s’agenouiller devant la morale, quoi qu’on fasse, on restera ces mêmes êtres imparfaits qui s’imaginent avoir le choix.
Même si les nuages gris s’amoncellent dans le ciel, si on se montre patient, le soleil finit toujours par revenir.
La normalité, une notion qui nous est propre à chacun, se modifiant au cours du temps dont la direction est modifiée par une suite d’évènements. Ce qui nous paraît étrange, fou ou même insurmontable un jour peut finir par devenir un fait totalement banal dans notre quotidien. Ça a été le cas lors de la dernière guerre qui a opposé l’Europe et l’Empire ottoman pendant sept longues années. En tant que soldat et agent de la S.T.A.R.K.E, je ne sais que trop bien avec quelle rapidité la terreur et la mort peuvent s’imposer dans notre vie et finir par devenir « normales ». Notre monde y a fait face de trop nombreuses fois. Chacun des membres de l’organisation ressent cette menace, comme un instinct qui s’est développé au plus profond de lui afin de l’avertir. Et après deux années de demi-sommeil durant lesquelles la paix est redevenue un semblant de normalité, mon instinct s’est éveillé.
Un jour, tu m’as dit que j’étais comme un croquis inachevé. Je pense que t’as raison. Je pense que certains d’entre nous sont des tests, des ratés, tandis que d’autres sont aboutis et parviennent à aller jusqu’au bout des choses. Il faut juste l’accepter, et une fois que c’est fait, tout devient plus clair.