J'avais emporté deux livres dans l'intention de la parcourir à bord. L'un d'eux était "Paroles au vent" de Theodore Roethke et voilà ce que j'ai trouvé:
Je m'éveille au sommeil, sans éveiller l'éveil.
Je sonde mon destin dans ce que je crains.
J'apprend en m'y rendant le lieu qui me revient.
L'autre était "Céline et sa vision" d'Erika Ostrovky. Céline avait été un brave soldat au cours de la Première Guerre mondiale avant d'avoir le crâne fendu. Après ça, il perdit le sommeil et des bruits résonnèrent dans sa tête. Il devint médecin, soigna les pauvres dans la journée et rédigea des romans grotesques le soir. Il n'est pas d'art possible sans trois petits tours avec la mort, écrivait-il.
"Le vérité, c'est la mort!... J'ai lutté gentiment contre elle, tant que j'ai pu... cotillonnée, l'ai festoyée, rigodonnée, ravigotée et tant et plus!... enrubannée, émoustillée à la farandole tire lire..."
Le temps l'obsédait. Miss Ostrovsky évoquait la scène étonnante de "Mort à crédit" dans laquelle Céline souhaite arrêter le mouvement de la foule. Il hurle sur le papier "Qu'ils s'arrêtent... qu'ils bougent plus du tout!... Là, qu'ils se fixent!... Une bonne fois pour toutes!... Qu'on les voie plus s'en aller."
Que ceux qui croient en la télékinésie lèvent ma main
L'expression de cette grosse femme laissait entendre qu'elle deviendrait folle sur-le-champ si quiconque se mettait à penser un petit peu plus.
"Je suis paumée, dit Katharine d'une petite voix. Tu n'as pas le droit de colporter l'idée qu'une machine peut faire ce que je fais.
- Ecoute, mon chou, il n'y avait rien de personnel là-dedans."
Elle pleurait à présent ; Paul se glissa dans son bureau et ferma la porte.
Le chat heurta le câble d'alarme de la clôture et les sirènes du poste de garde se mirent à hurler. La seconde d'après, le chat touchait les câbles électrifiés en haut de la clôture. Une petit explosion, un éclair vert, et le chat s'envola très haut au dessus du dernier câble comme si on l'avait projeté en l'air. Il tomba sur l'asphalte, mort et fumant, mais à l'extérieur de la clôture.
Je me trouvais exposer le raid tel que j'en avais été témoin, et mon projet de livre à un professeur de l'université de Chicago, au cours d'un cocktail. Il était membre d'un certain Comité pour la réflexion sociale. Il m'expliqua comment les Allemands fabriquaient du savon et des bougies avec la graisse des Juifs, le principe des camps de concentration et le reste.
Je n'avais que "Je sais bien, je sais bien, je le sais !" à lui opposer.
A l'occasion, je fais le bilan de mes études. J'ai fréquenté un temps l'université de Chicago après la Seconde Guerre. J'étais en Anthropologie. A l'époque, on enseignait que tout le monde était exactement comme tout le monde. Peut-être en sont-ils encore là.
On nous apprenait aussi que personne n'était ridicule, mauvais ou répugnant. Peu avant sa mort, mon père me dit comme ça : "Tu as remarqué que tu n'as jamais mis de crapule dans tes histoires ?"
Je lui ai rappelé que je devais ça à mes cours d'après-guerre.
On nous envoya par avion dans un camp de convalescence, en France, où l'on nous gava de bouillie chocolatée et de toutes sortes de choses riches en calories, jusqu'à ce que nous soyons bien potelés. Puis on nous rapatria et c'est alors que j'ai épousé une belle fille, elle aussi bien potelée.
Et nous avons eu beaucoup d'enfants.
Je suis bien retourné à Dresde en 1967 avec l'argent de la fondation Guggenheim (Que Dieu protège leur fric). ça ressemblait beaucoup à une quelconque ville de l'Ohio, en plus dégagé. Il doit y avoir des tonnes de farine humaine dans le sous-sol.