J’avais beau être un petit WASP coincé du Connecticut, le monde de la rave m’avait offert une deuxième naissance, une fois sur scène, je jouais sans la moindre honte, dans un bonheur total.
On avait tous des vies qui n’allaient pas, des parents qui mouraient, des carrières qui partaient à vau-l’eau ; on vivait tous dans une ville au bord du chaos. Mais pour l’instant on baisait sur une piste de danse entourés de drag-queens et plus rien n’avait d’importance.
Tout ce que l’homme touche souffre et finit par mourir.
Toute ma vie ou presque, j’avais forniqué dans la honte, persuadé que je m’y prenais mal et que je provoquais la colère de Dieu. Mais ce soir-là les rapports sexuels que j’avais sous les yeux ne me paraissaient pas particulièrement pervers. Ils étaient plutôt dénués d’enthousiasme et de passion. Les échangistes étaient sans vie, de même que les voyeurs qui les observaient.
Tout ce qui sentait le sexe ou la sensualité me terrifiait et me donnait envie de me réfugier devant un dessin animé Looney Tunes. Chaque fois que je regardais la télé avec ma mère et que les personnages de Maude ou De la croisière s’amuse faisaient une allusion plus ou moins sexuelle ou intime, je me figeais et j’attendais que la scène passe.
Si je mets cette clé dans la porte et que je tourne, je pars et je ne reviens pas. Je m’engage à errer en essayant de subvenir aux besoins des autres : les pauvres, les affamés, les déshérités. Je m’en vais et je tourne le dos à la maison où j’ai grandi, à ma carrière, à l’ambition, à tout.
Le futur avait quelque chose de pur, d’intrigant, à mille lieues de parents défaits fumant une Winston dans une laverie sordide. J’ai écouté Love Hangover jusqu’au bout parce que c’était une chanson futuriste. Or ni la radio ni le futur ne m’avaient jamais trahi.
J'ai écouté Love Hangover jusqu'au bout parce que c'était une chanson futuriste. Or ni la radio ni le futur ne m'avaient jamais trahi.
Blotti dans la voiture, je regardais les lumières brouillées de la laverie à travers le pare-brise ruisselant d'eau, comprenant peu à peu que la chanson me mettait mal à l'aise mais que j'en étais fou. Elle représentait un univers qui m'était inconnu, le contraire de là où je vivais - tout ce que je détestais : la pauvreté, la clope, la drogue, la gêne, la solitude. Et Diana Ross me promettait qu'il existait un monde qui n'était terni ni par la tristesse ni par la résignation. Quelque part il existait un univers à la fois sensuel, robotique et hypnotique. Immaculé.
En revanche, j'avais du mal à accepter que la femme que je connaissais depuis que j'étais un zygote de deux cellules n'existe plus. Parfois je prenais le téléphone et je l'appelais, et je me rendais compte que non, elle n'était plus là. Elle me manquait, et je pensais souvent au vide que quelqu'un laisse après sa disparition, comme si la personne avait brusquement été enlevée. Ses vêtements sont toujours dans les placards. Son shampoing est sur l'étagère de la douche. Les objets qui rappellent sa présence dans le monde sont là, mais la personne est partie.