Tout était fini. J'avais atteint une vieillesse véritable. Rien ne changerait plus. J'entrais dans l'immobilité éternelle : je m'étais accompli et rien ne pouvait m'arriver, puisqu'on n'a d'autre but que soi-même. le monde extérieur cessait d'exister, puisqu'il ne pouvait plus rien modifier de notre bonheur ni de notre malheur.
Mais cette débauche avec des prostituées ne me donna à aucun moment l'impression de déchoir, j'avais beau choisir toujours des filles plus laides et plus vieilles - forcées à plus de complaisances - je me trouvais normal et logique avec moi-même dans une vie normale et réglée. Et l'indifférence où mes fautes laissaient ces femmes les réduisait à rien : à leur propre valeur.
La pauvreté pécuniaire entraîne la pauvreté morale.
Tout est bagne à qui porte le bagne en soi.
Je mine de ma faiblesse, de mes peurs, de mes incertitudes ceux qui me font confiance. Les conseils que je donne les perdent, parce que je suis faible, mou, impur, incapable de suivre une ligne droite, et dépourvu de cette chaleur à vivre qui vous met au-dessus des événements. Et parce que je ne cherche, au fond, que mon repos et un divertissement à mon propre ennui.
Mais on s'accroche à moi, car j'ai le malheur d'être pitoyable, comme tous les êtres nerveux et sensibles.
Ma brutalité et ma pitié n'étaient que les deux faces de la même lâcheté. Et c'était toujours la même passivité, la même incapacité de leur commander.
Ma femme ne me faisait plus penser qu'à un cadavre qu'on enfuit pour s'en débarrasser : et moi, je n'étais plus qu'une prostituée dont on ne veut plus.
La chair seule, donne de la valeur à la chair, en crée toute l'importance.
Et je me livrais aux pires excès, non pour rechercher le plaisir, mais pour retrouver, en quelques instants, toute la souillure de mes années de débauche.
Tout petit, j’étais, paraît-il, violent et volontaire. Et, si lointain qu’il soit, je sens parfois encore en moi cet enfant d’un an ou deux qui, lorsqu’on lui refusait quelque chose, se cognait la tête contre le plancher jusqu’à ce qu’on lui cédât – ou qu’il s’évanouît. Il ne me reste pourtant de lui que cette poussée de sang, quand on le contrarie, et cette peine à me donner qui fait trembler mes mains…
La pitié me dégrade. Elle tue en moi toute bonté, toute générosité ; et le sens de la justice. Elle me force à mentir, à ramper. Elle attise ma fourberie, ma lâcheté et un grand désir de haine. Car, si elle m'a rendu méchant, elle m'empêche de l'être avec franchise.