Aldo Naouri

On peut considérer [...* que le monothéisme juif a été une vaste tentative d'hystériser l'humain. Ce qui ouvrirait la voie à une autre lecture encore de la Shoah.

... l'expression de "capitalisme sauvage", dont on use de nos jours, dans le champ politico-économique, est)-elle destinée par sa construction même à nous renvoyer, à notre insu et pour nous éviter de sombrer dans leur imitation, à des images telles que celles qui ont été semées en nous par l"éducation réprobatrice qui nous a pétris. elle laisse entendre, subtile manoeuvre, qu'il y aurait un capitalisme qui ne serait pas sauvage !

L'esquisse de ces attitudes individuelles, pour être squelettique et certainement insuffisante, n'en a pas moins le mérite de montrer qu'elles sont, hélas, aussi intrinsèquement logiques que nettement différenciées. Elle laisse en tout cas entrevoir la nature véritable de l'usage que chacun fait de l'autre et, en conséquence, l'interdépendance extrême des individus qui se côtoient et se rassemblent.

Qu'il soit l'objet de mon rejet ou celui de mon attention, que je le fuie ou que je m'associe à lui, l'autre demeure donc toujours pour moi celui par lequel, d'une manière plus ou moins claire, plus ou moins consciente, je peux me renseigner d'abord et avant tout sur moi-même.

J'ai pensé, et d'autres comme moi, un jour, que j'allais enfin pouvoir baisser les armes et m'accorder quelque repos en faisant par exemple de l'idéal communiste un cocon définitif à la prétention. Mon ^rêve a malheureusement fait long feu. Mais tout n'est peut-être pas tout à fait perdu puisque l'humanitaire et ses fameuses actions caritatives semblent s'offrir en relais au but qui me fait vivre. La lutte en champ clos a peut-être tout encore de beaux jours devant elle.

Le texte fait en effet venir CaïN au monde au terme d'un projet précisément décrit dans ses différentes étapes et fait déclarer à sa mère qu'elle le nomme ainsi parce que, "CaNiti"..., "je l'ai conçu"... avec Dieu (Genèse 4, 1). La narration de la conception et de la naissance de ABeL, dont le prénom signifie brume, brouillard, petit nuage ou quantité insignifiante - nuance qu'on retrouve dans l'appellation du professeur Nimbus -, est en revanche littéralement expédiée. Tout était donc déjà là.

Le problème qui se trouve ainsi posé est celui de la distance suffisamment bonne qui doit s'instaurer entre deux êtres, puisque c'est elle qui conditionne leur possibilité de partage d'un espace commun ou d'une relation, leur acceptation mutuelle et leur capacité d'échange. Problème autrement dit plus énorme encore qu'il n'y paraît. Problème considérable. L'humanité a tenté, sans grand succès, depuis le fin fond de son histoire, de le poser en manière conséquente pour lui trouver un brin de sens ou de solution.

Hypothèses délirantes et conclusions suspectes ? Forme subtile de paranoïa ? Ou vérités fondamentales que je découvrais brutalement et dont l'irruption dans mon quotidien me laissait abasourdi ? C'est toute mon histoire personnelle qui s'engouffrait dans ces interrogations que je travaillerai d'abondance par la suite dans mon analyse. J'avais néanmoins en même temps l'impression que, par-delà la collection en détails que j'avais accumulés et dont j'escomptais tirer parti, je ne pouvais plus éviter d'interroger les articulations multiples de cet inépuisable ensemble vie-mort-amour qui, même empoisonnées par la regrettable et si fréquente greffe de ce terme quatrième qu'est le pouvoir, s'y av&éraient impliquées. j'allais, autrement dit, devoir examiner la manière dont se conçoit, s'envisage se noue et évolue l'inévitable relation de tout individu à un individu autre, tout autre, à l'autre. Ce qui, comme chacun le sait, constitue un débat dont l'étendue et la complexité ont de quoi décourager et rabattre toute prétention.
A commencer par la difficulté qu'il y a en effet à déjà simplement définir cet autre, à le repérer, à tenter de savoir qui il est, ce qu'il est et quelle fonction il remplit.

Il faut entendre et vivre leur soulagement quand elles apprennent l'inutilité de tout geste à faire sur la verge de leur bambin - c'en est, d'ailleurs, à se demander i les praticiens qui continuent à prescrire l'inutile et nuisible décalottage forcé ont compris quelque chose à la différence des sexes.

Les ethnologues observant dans les maternités la façon dont les mères se comportaient, et surtout la façon dont elles touchaient le corps de leur enfant, ont montré, depuis longtemps déjà,qu'elles avaient une plus grande liberté gestuelle, à l'endroit du corps de leurs filles qu'elles n'en avaient à l'endroit du corps de leurs fils, qu'elles touchaient bien plus fréquemment les premières que les seconds, et ce, quel que fût le rang de leur grossesse.

Si les soins de la nounou lui offrent une sécurité certaine, ce n'est pas autrement qu'en référence à l'étalonnage de sécurité et inégalable que lui apporte une mère dont il garde sur lui une trace physique qui ne s'effacera jamais.

Cette dimension hectique, qui navigue d'un extrême à l'autre, a été depuis toujours et reste longtemps la seule à l'oeuvre dans la perception et dans les modalités d'expression de cet âge. Confronté au désarroi dans lequel le met immédiatement l'impériosité de son besoin, le bébé confère volontiers à la personne qui le satisfait une dimension de puissance si grande qu'il mettra longtemps, très longtemps à s'en déprendre.

Ce n'est pas parce que le psychisme de chaque individu recèle un noyau psychotique ou que certains obsessionnels empruntent des traits d'hystériques, et inversement d'ailleurs, qu'on peut imaginer, par quelque procédé thérapeutique que ce soit, faire changer un individu de structure. La structure n'est en effet rien d'autre qu'un appareil, aux caractéristiques précises forgés à i âge très précoce et parachevé à peine lus tard, qui permet au psychisme de filtrer et de coder toute information en termes de vie et de mort puisés, entre autres éléments concourants, dans la relation à la mère en fonction directe de l'étalonnage de cette relation.

... tout individu ayant vécu dans une fratrie est à même de décrire et de caractériser, avec une précision toujours confondante, la relation de sa mère à ses frères et soeurs - nécessairement autre que celle qu'il a connue et dont il se plaint. Il arrive d'ailleurs parfois, à l'écoute de certains récits, qu'on doive prendre acte de la légitimité de certains sentiments de jalousie. Ce n'est donc pas faut, et c'est même bon, de dire à un enfant, ou à chacun dans une fratrie, qu'il a, ou qu'il a eu, une mère qui était la sienne et seulement la sienne et qu'elle cohabitait dans le même corps que celles de ses frères et/ou soeurs.

... ce qu'il importe par-dessus tout de souligner - et la clinique pédiatrique le montre mieux que tout autre -, c'est que de tels modèles ne sont pas exclusifs les uns des autres et qu'ils peuvent cohabiter chez la mère unique de plusieurs enfants, sans pour autant lui faire ressentir le moindre inconfort ni lui faire percevoir la moindre contradiction dans des conduites parfois radicalement différentes.

Cet inventaire achevé, disons tout de suite que ces modèles de mères très tranchés et à la limite de la caricature ne sont pas les seuls. Il en existe quantité de nuances et de sous-variétés comportementales, autant de nuances et de sous)-variétés comportementales des enfants. D'autant que les données initiales susceptibles d'influer sur le devenir de ces mêmes enfants peuvent être atténuées ou radicalises par toute une série de facteurs familiaux, relationnels, historiques ou environnementaux.

Le déni de la mort - à l('origine de tous les autres dénis et en particulier celui de la différence des sexes -, qui court ainsi en se renforçant tout au long de l'histoire, fait de la vie une forme de survie étriquée et souvent revendicative. Il n'engendre ni accablement ni passivité mais une forme de froideur, de dureté et d'autoritarisme hors du commun. Ce qui fait parfois le lit d'une adhésion opportune à une idéologie où se côtoient la notion de mortification et la croyance dans la vie éternelle. La chair, vécue dans la honte sinon dans la haine, trouve alors les meilleures conditions pour s'emparer de l'idée de péché capital qui le restera jusque dans son évocation. La pruderie, la pudibonderie et la psychorigidité se mettent elles aussi de la partie, risquant de faire passer à tort une homophilie féroce - autre manière de nommer ici une allégeance exclusive aux seules et mêmes valeurs féminines - pour une homosexualité refoulée.

La mère d'une fillette de quelques mois me confie un jour le ravissement dans lequel l' am mise sa maternité, ajoutant qu'elle souhaite voir leur relation ultérieure prendre l'exact chemin de celle qu'elle entretien à sa mère, laquelle vit en province et lui manque terriblement malgré leurs trois coups de fil quotidiens et les lettres de dizaines de pages qu'elles écrivent tous les jours. Comme je n'a pas pu m'empêcher de hausser un sourcil, elle s'est sentie heurtée par mon étonnement et m'a demandé ce que je pouvais avoir à redire d'une relation d'amitié, somme toute la plus fiable qui pût être.

Si toute mère caresse, comme on l'a vu d'une façon naturelle et au demeurant salutaire, celui de l'immortalité de son enfant et en conséquence de la sienne, elle finit tôt ou tard par le reconnaître comme tel, s'en déprendre et le vider de son contenu.

... ce que j'ai déjà clairement énoncé sans toutefois l'avoir encore démontré, à savoir que, lorsque la relation des m!ères et des filles sombre dans le marasme, c'est, toujours et quel que soient le type, la nature ou le contenu de ce marasme, un garçon qui écope de façon patente et bruyante à la génération suivante.