Citations de Aldo Naouri (199)
... s'il y a toujours des interrogations et des fantasmes autour de ce type de désir, c'est qu'aux dires de celles qui en ont fait l'expérience, la naissance du'une fille constituerait, plus que toute autre chose, le parachèvement ultime d'une vie féminine.
Si le schéma qui s'ébauche de la sorte pêche par une simplification excessive c'est pour n'avoir pas directement pris en considération une foule de paramètres susceptibles de le modifier du tout au tout. Effets de hasard ou de la stratégie mise en place par l'une ou l'autre des structures psychiques pour gérer une configuration relationnelle, c'est facteurs participent à l'infinie variété des situations qui se rencontrent.
Quand la terreur a été vécue à un niveau maximal mais qu'elle a été intériorisée comme un état naturel des choses que rien ne peut jamais dénoncer ou modifier, l'aliénation de la fille du désir de s mère est totale. L'injonction de répétition, qui prend alors toute sa force, est suivie à la lettre et toute procréation ne pourra donner lieu qu'à une succession ininterrompue de filles. Un résultat strictement identique intervient au demeurant quand il y a entre fille et mère une entente parfaite, autrement dit la connivence, la complicité et la sérénité réputées devoir toujours marquer ces rapports.
Je me suis alors demandé ce qu'il en aurait été si le petit Louis avait été une petite Louise? Et je me suis aussitôt dit que cette question était stupide. Tant il est vrai que le sexe des enfants n'est pas à prendre comme un effet de hasard mais comme un phénomène toujours surdéterminé au premier chef par la relation que la mère entretien à ses deux parents et en particulier à sa propre mère.
"J'ai beau avancer dans ma psychanalyse, rien ne change et je me demande d'ailleurs si quelque chose peut changer. Parce que de fait, c'est elle qui devrait être à ma place sur le divan. Mais allez donc le lui dire ! Elle sait, et elle a toujours su tout, mieux que tout le monde !"
Quand on songe à l'innocence des jeunes générations persuadées de ne décider, en toute chose, qu"'en toute conscience et avec leur seule liberté de jugement, on reste rêveur ! Car nul ne peut agir, de quelque façon que ce soit, sans être soumis ) son insu à des messages similaires dont il ignore aussi bien la nature que la teneur et qui resurgissent à son insu dans un symptôme de son enfant quand ce n'est pas dans un des siens. Et, le pire, ou le plus terrible, c''est que les grands)mères et les arrière-grand-mères ne sont pas toujours vivantes, pas plus qu'il n'y a toujours de grand-tantes pour venir alléger le poids d'un destin en "caftant" opportunément, histoire de se faire consoler à bon prix !
... il n'est pas rare, comme je l'ai signalé en en relevant les effets potentiels, de rencontrer des reproductions à l'identique qui courent sur un nombre respectable de générations. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit principalement ici. Il importe seulement de noter la manière dont une parole maternelle descend les générations en cascade [...].
"[...] je ne lui ai pas laissé le choix, a-t-elle sèchement ponctué, c'était ce prénom ou pas d'enfant !"
On a vu pourquoi les pères espèrent un fils et on n'a pas à mettre un tel souhait sur de prétendues attitudes sexistes.
Le débat des mères avec leurs filles prend-il, en toutes circonstances, l'allure qu'il a dans ces quelques anecdotes prises au hasard au milieu de bien d'autres que je ne peut malheureusement pas aussi facilement rapporter ? Ou bien n'emprunte-t-il cette voir que lorsque se fait jour, au regard de la mère, un risque de rupture, et surtout de rupture radicale ? Mais rupture de quoi ? Rupture de la communication ? Rupture de la hiérarchie ? Rupture des liens d'allégeance ? Ou rupture encore de ce point dont on a vu qu'il avait valeur d'inscription dans l'éternité, qu'il nourrissait le fantasme d'immortalité et qu'il parvenait à faire pièce à l'angoisse de la mort. Il en arrive alors que l'entretien d'un tel fantasme requière une énergie si grande qu'on se prend à vouloir en priver ceux qui viennent à la vie, et d'autant que, garçons, ils signent, comme on le verra plus en détail, le désir implicite et impertinent de cette fameuse rupture.
Et qu'entendre derrière la plainte de celle-là qui, sur son lit d'hôpital, le raconte, désespérée, que lorsqu'elle a dit à sa mère qu'on avait décidé d'entreprendre chez elle une chimiothérapie, cette dernière lui a rétorqué : "Ah ! oui ! la chimiothérapie, je connais. C'est de cela qu'est morte ma mère."
.. quand j'ai pu prendre la parole, qu'à l'écoute de son discours il me semblait qu'elle n'avait rien de mieux à faire que de mettre tout simplement ses bébés à la poubelle et s'en procurer de nouveaux en meilleur état. Ce type d'intervention, qui résout habituellement tous les problèmes en déclenchant par son énormité un rire soulagé à l'autre bout du fil, m'a valu cette fois)là une réplique si choquée et si véhémente que j'ai eu beaucoup, beaucoup, de al à rattraper le coup. Pour une fois, on expérience, ma bouteille et mon sens de la relation ne m'ont vraiment pas paru de trop. Il ne m'avait jamais été donné dans ma vie de rencontrer une absence d'humour aussi radicale. je m'en ouvris d'ailleurs par la suite à ma collègue qui avait déjà fait le même constat et qui m'a confessé vivre chaque encontre avec cette mère comme une épreuve à la limite du supportable.
... que ce soit dit et clamé, ou tu mais implicite, c'est toujours par un "tu veux ma mort !" véhément ou accablé, que la harangue se termine - avatar déflagrant de ce fameux "amour à mort" que nous avons pu voir à l'oeuvre. un "tu veux ma mort !" qui cherche à rappeler que la toute-puissance n'est tolérable, dans son exercice comme dans son vécu, que dans la seule expression de la sollicitude, laquelle ne semble être là que pour masquer la violence mortifère qui la sous-tend.
Car l'homosexualité - au sens le plus strict du terme - de l'amour qui se déploie en la circonstance parvient à lui faire faire un pont sans rupture entre sa fille en aval et elle, mais aussi en amont entre elle et sa propre mère, la mère de cette dernière, la mère e la mère, etc., et ce, indéfiniment, jusqu'à la toute première humaine. Et cela lui apporte la preuve la plus immédiatement saisissable, et la plus tangible, de son inscription dans l'incontestable éternité d'une condition.
... ce qui se joue pour [la femme], et d'une façon plus consistante encore que pour son partenaire, dans la procréation; c'est la mise en branle de sa propre immortalité. [...] voilà qu'elle a, tout contre elle, réelle, vivante et chaude, la promesse qu'elle a réussi à se fabriquer.
C'est cette logique comportementale de la grossesse qui révèle le mieux à une femme le sens de son parcours existentiel et la force particulière que revêt sa relation de mère à son enfant, quel qu'en soit le sexe - et je n'arrêterai pas de répéter cette précision en toute occasion.
... il est rare, sinon exceptionnel, que l'investissement don telle est l'objet de la part de sa mère ne soit pas, par essence et avant tout, profondément égoïste et forcément aliénant.
Si chacun, depuis l'aube de sa vie, a repéré qu'il doit sa survie aux soins assidus de sa mère, il n'a pas manqué de tire toutes les conséquences de l'éventuelle et menaçante suspension de ces soins. Si bien que plus une mère évolue dans le don et l'oblation, plus grandit sa puissance à donner vie, plus grandit paradoxalement son pouvoir de donner la mort. Et c'est à cet ensemble qu'on donne communément le nom de "toute-puissance".
Il a toujours existé et il existe des "filles-mères"; comme on disait de ces femmes désignées aujourd'hui sous l'appellation de "parent isolé", il n'a jamais existé et, n'en déplaise aux aventuriers de la biologie, il n'existe pas de "fils-père". Tant et si bien que le dispositif de la parentalité ne laisse pas au père d'autre choix pour se signaler, et occuper la place qui lui est dévolue, que d'accepter d'endosser et d'assumer la fonction ostensiblement mortifère qui est toujours la sienne, et ce, qu'il s'en félicite ou qu'il le déplore, qu'il le veuille ou qu'il ne le veuille pas.
Il a toujours existé et il existe des "filles-mères"; comme on disait de ces femmes désignées aujourd'hui sous l'appellation de "parent isolé", il n'a jamais existé et, n'en déplaise aux aventuriers de la biologie, il n'existe pas de "fils-père".