Alex Wyck

— Oh non. Non, je ne veux pas souffrir. Je souffre déjà bien assez, geignit la vieille dame. Je ne veux pas du délai.
Moineau opina du chef, soulagé. Il n’y aurait pas de supplications ni de sanglots déchirants : une aubaine. C’était déjà assez pénible de guider les mourants dans l’au-delà, s’il devait en plus supporter les jérémiades…
— Alors voilà ce qui va se passer : je vais peser votre âme pour juger le poids de vos bonnes et mauvaises actions. Selon le résultat, vous irez soit au Paradis, soit en Enfer.
Le mot « enfer » fit déglutir difficilement la vieille dame et lui mit les larmes aux yeux. Moineau fronça le nez et détourna le regard.

Les sourcils froncés, Siam ferma les paupières, comme pour se replonger dans ses souvenirs.
— « Alors c’est comme ça que vous voyez les choses ? Quelque chose vous plaît et vous le prenez, juste comme ça ? ». Grim a souri « Juste comme ça » a-t-il répété. Puis il a baissé les yeux délibérément sur ma bouche. Des crépitements se sont installés dans mon estomac, mes doigts se sont resserrés sur le cordon, et je l’ai embrassé. Ce n’était pas un baiser doux et romantique, pas même un baiser tendre. Ce n’était pas ce que je ressentais sur le moment. C’était… nerveux, frénétique, maladroit, et quand j’y repense, ça ressemblait plus à une morsure qu’à un baiser. Je me suis écarté en étant convaincu qu’il allait me repousser. Il n’en a rien fait. Grim m’a jaugé du regard un long moment avant de me dire « Je crois que c’est la chose la plus viking que tu n’aies jamais faite ». J’allais répondre, mais je n’en ai pas eu le temps. Ses lèvres ont happé les miennes et je n’ai pu que m’accrocher à sa nuque en me demandant comment j’avais fait pour résister aussi longtemps. Il m’a attiré contre son torse et j’ai fini à moitié sur lui sans même m’en apercevoir. Comparé à lui, je me sentais minuscule. Il a refermé ses bras autour de ma taille et j’ai eu l’impression de disparaître, comme si le corps et ses cellules n’étaient qu’une chose abstraite. Et puis…

Je préférais largement voir tout brûler autour de moi et t’avoir à mes côtés, plutôt que de tout avoir et que tu ne sois plus là.

— Mon père avait épousé une femme pauvre contre le gré de sa famille, une Thaïlandaise qui plus est, poursuivit Siam. Et ils l’auraient déshérité s’il n’avait pas été le seul descendant des Hansen. Nous avons tous vécu au manoir avec ma famille paternelle. J’étais bien trop petit pour remarquer leur attitude hostile envers ma mère et moi. Ma tête n’était qu’aux jeux de l’enfance. Pourtant, j’ai dû vite grandir… Je n’avais pas plus de huit ans lorsque mes parents ont eu un accident de diligence. Leur voiture a perdu un essieu et s’est retournée jusqu’à chuter dans un ravin. J’imagine que leur mort a été brutale. J’en ai fait des cauchemars atroces pendant des mois. Je les entendais crier à l’aide ou juste hurler de douleur et je me réveillais avec des sueurs froides.
Encore orphelin, juste plus tôt. Peut-être que c’était une facilité scénaristique de trouver des points communs à chaque conte, histoire de ne pas se mélanger les pinceaux.

La peur ne m’avait pas encore saisi, le rhum a au moins l’avantage d’infuser un peu de courage, même au plus trouillard. Je me souviens m’être pris les cheveux dans une toile d’araignée et avoir grimacé en poussant un gémissement de dégoût qui s’est répercuté à l’infini contre les murs. Il faisait vraiment très froid, des frissons me secouaient de la tête aux pieds. J’ai raté la dernière marche du dernier escalier, je me suis rattrapé au mur juste à temps, mais la brique a cédé sous mes doigts et s’est écrasée par terre dans un nuage de poussière. Il faisait sombre, les serviteurs n’avaient pas éclairé cette partie du domaine, seule la lune éclairait mon chemin. Je cherchais où me cacher quand un grondement effrayant a retenti au bout du couloir.
Moineau pinça les lèvres.
Un monstre maintenant ? Si tu veux que je te croie : fais un effort, Siam.

Dans toutes nos vies, toujours, je t'aime.

Elle m’a dit que Grim était un grand guerrier auparavant et qu’avant que je n’arrive, tout le monde l’aimait et le respectait. « Maintenant, il n’est plus qu’un sodomite et tout le monde pense que tu lui grimpes dessus ! ». Toute mon indignation et ma rage sont remontées à la surface en l’entendant cracher et parler de cette manière. Je lui ai crié « De un, même si nous étions bel et bien amants, tu sais que ce n’est pas moi qui lui grimperais dessus comme tu dis. Et de deux, même si c’était le cas, ce ne sont les affaires de personne. Est-ce que je te parle de la façon dont ton amant te grimpe dessus ? ».
Moineau renifla avec amusement derrière sa main.
— Bien répondu.... Alors il vous grimpait bel et bien dessus.
— Tu serais surpris.
Moineau écarquilla les yeux et voulut approfondir le sujet… 

— Celui qui t’a transformée… c’est Lémurien ?
— Il m’a juste transformée parce qu’il pensait qu’avoir une ex-militaire comme connaissance allait calmer les autres Peseurs. Qu’on arrêterait de le, je cite, « prendre pour un con ».
Un bref éclat de rire échappa à Moineau. Le comportement de Lémurien tenait du désespoir. À chaque fois qu’il allait porter ses vêtements au nettoyage, il le voyait supplier le pauvre Peseur-fourrier de lui donner des habits. Ou du tissu de n’importe quelle couleur, de n’importe quelle forme, pourvu qu’il y en ait assez pour couvrir son boxer Bob l’éponge. Moineau secoua la tête.
— Pauvre Lémurien.
— Pauvre Panthère. Qu’est-ce que je suis censée faire avec un professeur pareil ?

Samaël ne comprenait pas Arsen, ses paroles avaient un sens, mais son sourire n’en avait aucun.

Pour qu’un adulte voie le jour, il faut qu’il prenne grand soin de l’enfant qui est en lui, parce que c’est l’enfant qui possède les côtés les plus purs, les plus innocents. L’adulte n’est là que pour encadrer le petit, pour lui apprendre la vie et les usages, le bien et le mal. Il lui prête sa force pour le travail, pour prendre soin des autres, et aussi peut-être pour supporter un futur conjoint.