Citations de Ami Bouganim (27)
Ce qui m'est clair c'est que de traiter les Allemands de barbares ne veut rien dire. Cela élude les questions les plus troublantes sur la criminalité congénitale de l'homme ou, comme l'a dit Arendt, la banalité du mal. Je suis un criminel en puissance. Je le sais, je le sens.
On ne doit pas laisser le désir s'embourber et s'encrouter dans la routine. Sinon, on ne montrerait plus autant d'entrain à le débrouiller. C'est lui qui ranime l'entaille où la vie se reprend, se déprend et se reprend. Il présente la vertu de ne point être exaucé ou assouvi et c'est pour cela que la vie rebondit sur lui. Il creuse le sillon où l'on sème le sens et que l'on colmate de prétextes, de textes et de sur-textes. Sans désir, on dépérit de désarroi dans le non-sens; débordé de désir on se perd dans tous les sens. Le désir est le ressort essentiel de la vie.
Ces seigneurs de l'Alliance n'étaient pas de grands sionistes. Ils restaient attachés à la mission universelle de leur institution et à la dispersion juive. Malgré l'holocauste et ses six millions de morts. Israël était en Orient et eux étaient en Occident.
A Casablanca, les visages des fidèles étaient transfigurés; dans cette bourgade, dont on ne connaissait pas le nom tant il changeait, ils étaient dévastés. Là-bas, ils étaient beaux malgré leur malheur; ici, ils étaient irrémédiablement hideux, décomposés par la chaleur et déssechés par le vent. Partout l'hébétude de pauvres gens auxquels on avait dérobé un rêve et une promesse millénaires. Ils n'attendaient plus; ils végétaient. Une bourgade d'assistés, de rebuts et de vieillards. Les prières étaient toutes exaucées ou toutes déboutées.
Plus tard, quand il se mettra à prononcer des homélies, il ne reculera pas devant des constatations audacieuses qui séduiront ses disciples et lui aliéneront les rabbins rémunérés par les pouvoirs publics:
"S'il est un Dieu, il est dans le pli de la conscience de soi. Il est personnel et impersonnel. Il est muet, sourd et aveugle. Il est avec chacun et avec personne. Il est tout-puissant et impuissant. Il est mortel et immortel. Il est contant et inconstant. Tout autre Dieu ne serait qu'un mirage dans le non-sens cosmique."
Entre-temps, je suivais la dérisoire parade de ce pauvre ramassis d’immigrants se prenant pour un peuple et se comportant comme autant de parvenus à je ne sais toujours pas quelle désastreuse souveraineté. (…) Ce ne sont pas les meilleurs qui réussissent, mais les plus roués. Ce ne sont pas les plus sages qui gouvernent, mais les plus impudents. Ce ne sont pas les plus doués qui recueillent les lauriers, mais les plus entreprenants. Ce ne sont pas les plus studieux et ingénieux qui bénéficient du régime des largesses de l’Université, mais les mieux introduits. Ce ne sont pas les plus talentueux qui s’imposent dans les arts, mais les plus imposteurs. Je n’ai rencontré pires immoralistes que parmi ceux qui se posent en parangons de la vertu ; pires parasites que parmi ceux qui clament haut et fort leur patriotisme et versent devant les caméras leurs larmes sur les victimes des attentats.
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La vie n’a de sens qu’en relation avec Dieu. Or Dieu n’existe pas. Donc la vie est insensée.
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On était censé nous acheminer à la Terre promise, on nous a largués dans un désert rocailleux et ingrat.
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- Je ne sais que retourner la terre et pour tout dire, je ne me soucie pas de ce que je plante. C’est ma manière de philosopher. Retourner la terre pour chercher le sens et semer le sens.
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Il lisait pour se batir un univers. Je lisais pour raturer le mien.
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La mort est toujours impromptue. Mais elle est bonne. Plus de hantises ; plus de cauchemars. Ni guerres ni massacres. Ni Dieu ni Diable. Ni la dilution de la terre ni sa glaciation. Ni douleurs ni sueurs. Ni orgueil ni humiliation. La mort est belle. C’est rentrer chez soi et en plus se réveiller. C’est la paix des sables. C’est l’absence éternelle. C’est la mélodie du silence.
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Je ne regretterai rien. Ni les lueurs blêmes de l’aube ni celles cramoisies du soir. Ni le cortège des femmes dans la rue ni le manège des camelots au souk. Peut-être les arbres de mon jardin. Le grenadier en particulier. Mon seul véritable regret c’est qu’il n’y aura plus personne pour rêver de ma mère.
Je ne regretterai rien. Ni les lueurs blêmes de l'aube, ni celles cramoisies du soir. Ni le cortège des femmes dans la rue ni le manège des camelots au souk. Peut-être les arbres de mon jardin. Le grenadier en particulier. Mon seul véritable regret c'est qu'il n'y aura plus personne pour rêver de ma mère.
"Il connaissait davantage Angelus Silesius et Tchouang-tseu que Rabbi Nahman. Il choisit de se taire pour ne pas s'attirer des reproches. Il reconnut d'une moue qu'il ne savait rien.
- C'est une bonne occasion de le découvrir, demain on t'apportera un de ses livres.
- Tu dois savourer chaque page, chaque phrase, chaque mot.
- On t'apportera également la calotte des Nahnahs.
Quand on lui demanda pourquoi il ne parlait pas, il répondit: "Je n'ai rien à dire."
André Azoulay : "Dans le monde arabe, nous savons beaucoup sur la civilisation occidentale. Mais que savent les Occidentaux sur notre histoire, notre littérature, notre musique, notre philosophie ?"
André Azoulay : "Nous avons mis tout cela en perspective, nous avons rassemblé les valeurs, la musique, la peinture, la littérature et cela a donné une vraie stratégie de développement durable. Quand nous avons commencé, il y avait six hôtels à Essaouira, aujourd'hui il y a plus de deux cents hôtels et maisons d'hôtes. Voilà ce que la culture sait faire. Voilà ce que le patrimoine nous rapporte. Voilà ce que ces vieilles pierres nous ont permis de réaliser. Les travaux de restauration créent des emplois. Dans la construction, la charpentier, la marqueterie."
Mohammed Oqba, poète :
Dans ma ville natale,
Il y a ceux qui rêvent
Il y a ceux qui crèvent
Yacine Ben Ali : Les mendiants sont trop nombreux pour une ville de culture et de lumière - c'est ça Mogador, on se prend pour des artistes de tout et de rien, on passe d'un art à l'autre par ennui autant que par talent, on se cherche avec la ville, un jour on se pose en musicien, le lendemain en muezzin.
Houbeila, le cireur :
- J'ai souvent pris un stylo pour écrire ce qui me passait par la tête. Sitôt que je l'ai décapuchonné, je n'ai rien trouvé à écrire.
- Alors ?
- Alors, je suis un artiste du silence.
Houbeila, le cireur : "C'est la mouette - oua en arabe - qui est la véritable artiste de Mogador".
Le soufisme et le hassidisme convergeraient dans cette exaltation de la vie et cette dissipation liturgique. Ce n'est pas du judaïsme, ce n'est pas de l'islam, ce n'est pas du christianisme ; c'est au-delà.
Mobarak Erraji, poète :
A l'oiseau couleur d'âme
Des battements d'ailes
En guise d'à-Dieu.
Mobarak Erraji, poète : C'est une ville qui nourrit les mouettes, l'imaginaire et l'amour.
Le Souiri est là sans être là ; il est présent sur le mode de l'absence. Il reste dans son coin. Il ne le quitte pas sans se sentir perdu.
Seuls les Gnaoua seraient immunisés contre les maléfices qu'exercent les vents et les vagues de Mogador. Ces ménestrels descendent des esclaves noirs qui ont construit la ville, de même que des gardes noirs qui l'ont protégée ; ils connaissent par conséquent ses craintes et ses hantises. (...) Les Gnaoua n'auront cessé de se traiter et de traiter les autres en guise d'émancipation. Même libres, ils restaient exclus. Seul le tourisme les aura réhabilités. Peut-être aussi les anthropologues. Sûrement la musique.
Le soufisme est dérivé de souf - laine, en arabe - dont étaient fabriqués les vêtements que portaient les mendiants mystiques qui vivaient en solitaires avant de former des confréries.