On ne doit pas laisser le désir s'embourber et s'encrouter dans la routine. Sinon, on ne montrerait plus autant d'entrain à le débrouiller. C'est lui qui ranime l'entaille où la vie se reprend, se déprend et se reprend. Il présente la vertu de ne point être exaucé ou assouvi et c'est pour cela que la vie rebondit sur lui. Il creuse le sillon où l'on sème le sens et que l'on colmate de prétextes, de textes et de sur-textes. Sans désir, on dépérit de désarroi dans le non-sens; débordé de désir on se perd dans tous les sens. Le désir est le ressort essentiel de la vie.
Plus tard, quand il se mettra à prononcer des homélies, il ne reculera pas devant des constatations audacieuses qui séduiront ses disciples et lui aliéneront les rabbins rémunérés par les pouvoirs publics:
"S'il est un Dieu, il est dans le pli de la conscience de soi. Il est personnel et impersonnel. Il est muet, sourd et aveugle. Il est avec chacun et avec personne. Il est tout-puissant et impuissant. Il est mortel et immortel. Il est contant et inconstant. Tout autre Dieu ne serait qu'un mirage dans le non-sens cosmique."
"Il connaissait davantage Angelus Silesius et Tchouang-tseu que Rabbi Nahman. Il choisit de se taire pour ne pas s'attirer des reproches. Il reconnut d'une moue qu'il ne savait rien.
- C'est une bonne occasion de le découvrir, demain on t'apportera un de ses livres.
- Tu dois savourer chaque page, chaque phrase, chaque mot.
- On t'apportera également la calotte des Nahnahs.
Quand on lui demanda pourquoi il ne parlait pas, il répondit: "Je n'ai rien à dire."