Amy LLoyd

C'est quelque chose que les personnes qui ne viennent pas de Red River ne comprendront jamais parce qu'elles n'étaient pas là, elles ne connaissaient pas les familles comme nous on les connaissait. Et elles ne connaissaient pas Dennis. Elles ne savaient pas qui il était à l'époque, avant que les gens comme vous en fassent ce qu'il est devenu. Avant qu'il apprenne à se comporter comme une proie plutôt que comme un prédateur.

L’enfant calme et timide d’autrefois devint enclin à des accès soudains de grabuge et de violence. Il commença à faire l’imbécile en classe, à se lever brusquement en retournant son bureau, ou à crier au milieu d’un contrôle comme s’il trouvait le silence et l’immobilité de la pièce insupportables. Les enseignants qui avaient voulu le protéger, attendris par la timidité cachée derrière ses yeux bleus et ses cheveux blonds, le rejetaient désormais. Ils l’envoyaient dans le couloir ou dans le bureau du directeur, et préféraient concentrer leur attention sur les enfants qu’ils pouvaient aider.
Cette expérience l’isola du reste du monde. À l’école primaire et au collège, Dennis arrivait seul, passait ses journées à l’écart de ses camarades et rentrait chez lui sans personne pour l’accompagner. Au lycée, il intriguait de plus en plus les autres, qui le voyaient moins comme un marginal et plus comme un solitaire incompris.

Il y avait des femmes splendides, bien plus belles que ce qu’elle avait pu imaginer. Elle avait espéré que la beauté des actrices était le pur produit de leur maquillage et du halo de lumière qui les enveloppait, mais en les observant elle se rendait compte que cette beauté était réelle.

C’est si bon d’avoir quelqu’un avec qui je peux être honnête. Pendant mes cours, je dois faire semblant d’être forte, sinon les élèves se transforment en sauvages, c’est épuisant. Je ne m’entends pas vraiment avec les autres professeurs.
Ils sont tous mariés avec des enfants, ils me regardent comme si j’allais mal parce que je ne suis pas comme eux. Je ne pourrais pas leur raconter que je t’écris, ils ne comprendraient pas. J’en ai vu un qui lisait ce livre sur ton affaire l’autre jour – Quand la rivière rougit d’Eileen Turner – et j’ai failli lui dire « je connais Dennis Danson ! On s’écrit chaque
semaine ! », mais je savais que ça finirait par nourrir leurs rumeurs sur moi. En plus, je trouve ça beau que les gens ne sachent rien.

Comme toi, je suis le vilain petit canard de ma famille.
J’espère que ça ne te fait pas peur, je veux dire que les gens ne nous comprennent pas parce que nous sommes différents d’eux, et pas parce que nous avons fait quelque chose de mal. Ma grand-mère a toujours su me comprendre, elle était une vraie mère pour moi, et je ne me suis pas encore remise de sa mort. C’est peut-être pour ça que ton histoire m’a autant bouleversée. Je suis célibataire depuis peu (la rupture a été difficile) et je déteste mon travail. Certains jours, je me réveille tôt et je ne peux même pas bouger, je reste simplement allongée en espérant que ce moment du jour noir comme de l’encre dure éternellement.

C’était une trace de pas. Mais comme le faisaient remarquer les membres du forum, aucun moulage n’avait été fait et l’empreinte n’était mentionnée dans aucune procédure judiciaire. Le débat fut lancé : cette trace de pas avait-elle été délibérément occultée pendant l’enquête ? Était-ce une simple négligence ? Était-ce l’empreinte d’un officier de police de Red River qui aurait dérangé la scène de crime avec son pied bot ? La discussion faisait rage jusque tard dans la nuit et Sam ne savait qui croire, mais elle était certaine d’une chose : quoi qu’il se soit passé, le vrai tueur courait dans la nature.

C’était son autosatisfaction qui la mettait dans cet état. Il était tellement odieux dans le documentaire qu’elle s’était demandée par quel montage ingénieux ils l’avaient rendu aussi insupportable. Il était impossible qu’un père puisse être si dur et si méprisant. Mais elle voyait cette personnalité apparaître sous ses yeux, de manière très concrète, et elle aurait même douté de ses capacités mentales si les sourires obséquieux qu’il lançait de temps à autre n’étaient pas venus souligner combien il appréciait la situation.

Ne pas être avec Dennis était une torture, mais être en sa présence sans qu’il puisse la toucher était presque pire. Ils parlaient des avocats, de l’avancée des recherches, des publicités offrant deux mille dollars pour toute nouvelle information devant lesquelles Sam passait pour aller à la prison. Jusqu’ici, cette méthode ne leur avait amené que des rumeurs de déséquilibrés mentaux, mythomanes et autres médiums qui leur refourguaient des histoires invraisemblables.

Dennis emplit une assiette de fruits et de légumes frais en précisant à tout le monde que c’est ce qui lui avait le plus manqué en prison. Derrière les barreaux, on rêvait de trucs riches en vitamines, de fruits dégoulinant le long de votre menton et du craquant des carottes : l’idée des crudités vous faisait saliver quand vous étiez allongé après avoir avalé des nuggets de poulet secs ou du chili con carne qui tombait comme une pierre dans votre estomac.

Leur relation épistolaire se poursuivit et elle se sentit de moins en moins seule. C’était comme tomber amoureuse, pensa-t-elle, en tout cas elle était plus proche de l’amour qu’elle ne l’avait jamais été. Elle ne faisait pas semblant d’être trop occupée pour répondre, ne luttait pas contre ses sentiments pour paraître distante ou ne se torturait pas devant la signification du nombre de cœurs envoyés à la fin d’un texto. Tout était fluide et naturel.