J’ai découvert André Laude pour la première fois en 1995. C’était par un matin d’hiver, dans les rayonnages de la BU de la fac d’Amiens. J’étais en 2ème année de DEUG de lettres modernes et on étudiait la littérature engagée. A coté des grand noms (Hugo, Vallès et les autres) se trouvaient une tripotée d’auteurs parfaitement inconnus pour moi : Han Ryner, Georges Darien, le poète Eugène Bizeau, Ludovic Massé ou encore Jean-Baptiste Clément (l’auteur du Temps des cerises). Tous étaient présentés avec brio par Thierry Maricourt dans son Histoire de la littérature libertaire en France (éditions Albin Michel). C’est donc là, en feuilletant cet ouvrage devant une étagère de la BU que j’ai rencontré André Laude. Thierry Maricourt le présentait comme un poète rebelle dont l’engagement (a)politique lui valu, entre autres, quelques tortures pendant la guerre d’Algérie.
Rapidement, je cherchais à trouver des recueils du sieur Laude mais sa production était tellement confidentielle qu’aucun libraire ne put me trouver le moindre de ses titres. Je finis par en dénicher un à la bibliothèque municipale. Et là, le choc fut total. Habitué aux enseignements universitaires qui ramenaient souvent la poésie à un pur exercice formel, je découvrais une voix pleine de bruit et de fureur.
André Laude est né en 1936 à Paris dans une famille pauvre, d’un père occitan et d’une mère bretonne. Subjugué par la poésie de Rimbaud, il devient un peu par hasard journaliste (il pigera notamment très longtemps pour le journal Le Monde et fera des émissions à France Culture). Jamais encarté, il souscrit aux thèses des communistes libertaires. Fervent défenseur de l’indépendance algérienne, il mena tous ses combats comme un révolté. Ce grand solitaire n’a jamais rien possédé. Il a vécu dans le dénuement et les vapeurs d’alcool. Une sorte de clochard céleste incontrôlable, fieffé mythomane. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir souvent mordu la main qui venait de le nourrir. Il avait fait sienne la phrase du poète surréaliste belge Achille Chavée : « Je suis un vieux peau-rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne. »
La poésie d’André Laude est une poésie à hauteur d’homme. Balayant d’un revers de la main toute forme de versification, il offre des textes flamboyants, souvent proches du surréalisme. Dans sa magnifique Histoire de la poésie française, Robert Sabatier cite Alain Bosquet : « La vertu d’André Laude est précisément, malgré la brutale clarté de ses textes, de leur garder une charge d’enchantement, de mélodie et de pureté intacte. » André Laude éructe ses poèmes. Il emporte le lecteur dans un tourbillon de mots semblant parfois incontrôlé, un peu comme un jazzman se lançant dans une impro sans fin. Mais sa petite musique prend aussi souvent les accents du blues le plus pur, celui qui vous donne des frissons.
André Laude est mort le samedi 24 juin 1995 dans une petite chambre de Belleville. Épuisé par la solitude, l’alcool, le manque de confort matériel, il s’est laissé emporter… Sentant la fin arriver, il a griffonné un dernier poème, retrouvé près de son corps :
Ne comptez pas sur moi
Je ne reviendrais jamais
Je siège là-haut
Parmi les élus
Près des astres froids
Ce que je quitte n’a pas de nom
Ce qui m’attend n’en a pas non plus
Du sombre au sombre, j’ai fait
Un chemin de pèlerin
Je m’éloigne totalement sans voix
Le Vécu m’a mille et mille fois brisé, vaincu
Moi le fils des Rois.
Dernier tour de force pour un poète qui aura marqué à jamais ma vie de lecteur. Grâce à internet, j’ai pu récupérer la majorité des recueils d’André Laude. Il m’arrive encore souvent dans prendre un au hasard. J’ai corné les pages où se trouvent mes poèmes préférés. Je retrouve pendant quelques minutes cette voix singulière, le cri d’un homme entier, sans concession. Je passe alors un moment de pur bonheur et je comprends pourquoi la lecture est devenue pour moi une activité vitale.
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