Interview Andrew Morton (en anglais)
Après la première séance avec le docteur Colthurst, Diana sut qu’elle avait franchi son propre Rubicon. Elle avait jeté par-dessus bord la carte traditionnelle tracée par la monarchie pour s’engager sur la sienne, avec seulement une vague idée de la route. En réalité, elle parlait par micro interposé avec un homme qu’elle connaissait à peine, de sujets qui, en cas de maladresse, pouvaient porter un coup fatal à sa réputation. C’était, en tout état de cause, un exercice d’une extrême imprudence, voire d’une folle témérité. Mais tout fonctionna à merveille.
La Meghan-mania envahit le pays. Les journaux imprimaient des suppléments spéciaux pour faire connaître au public la vie et les moindres gestes de la toute nouvelle « Mega Star » britannique – pour reprendre l’un des gros titres du Sun. Dans une économie en berne, on espérait que Meghan, comme Diana avant elle, deviendrait la nouvelle poule aux œufs d’or, à même de les distribuer à bon escient.
Elle arrive aux portes du palais complètement formée : actrice reconnue, blogueuse populaire et humanitaire accomplie.
Elle peut se vanter de provenir d’une lignée d’esclaves et de rois, de serviteurs et de chevaliers. Et sa trajectoire, remarquable en tous points, ne pouvait débuter ailleurs que dans la cité des rêves, Los Angeles.
La comparaison avec Diana est inévitable : la visite secrète de Meghan en février 2018 aux survivants de l’incendie de la tour de Grenfell à Kensington, pour leur apporter du réconfort, évoque le souvenir des rencontres de Diana avec les sans-abri du quartier de South Bank à Londres.
On pourrait leur trouver d’autres points communs, comme son large engagement humanitaire et populaire ou son charme envoûtant. Meghan n’en est pas moins radicalement différente par de nombreux aspects. Elle possède un équilibre et une assurance que Diana, en particulier au début de sa carrière royale, s’efforçait sans succès d’acquérir. Elle est aussi préparée et rompue aux exigences de l’exposition médiatique que Diana était timide et inexpérimentée.
Une heure plus tard, elle quittait ce foyer de l'association Centrepoint pour une courte visite aux "arènes", une cité de carton abritant des enfants abandonnés et désespérés de toutes sortes dans les entrailles du complexe artistique de South Bank.
La visite de la princesse était discrète, mais combien éloquente sur le plan politique, quelques jours après les attaques du Premier ministre John Major contre les mendiants qui trainent dans les rues de la capitale et après que le prince Philip eut déclaré que la pauvreté absolue n'existait plus en Grande-Bretagne. [...]
Aussi le spectacle de cette femme, qui juridiquement continue d'être la future reine, accostant sans sourire de façade, sans chichis et quasiment sans escorte ce que Londres compte de plus dégradé et de plus démuni, confondit les critiques.
C’était l’audition la plus importante de la vie de Meghan. Pas de répétition, pas de script, pas de seconde prise. De l’improvisation et du direct. Lorsqu’elle franchit les grilles de Buckingham Palace, sous la bruine par un jeudi d’octobre couvert, dans une Ford Galaxy noire aux vitres teintées, l’actrice était sur le point de livrer la meilleure performance de sa carrière. Bien qu’elle répète souvent ne pas être nerveuse par nature, on lui pardonnerait aisément d’avoir eu la gorge un peu serrée. Elle s’apprêtait à rencontrer la reine à l’heure du thé. Profonde inspiration. Bien sûr, Harry était à ses côtés, il lui tenait la main et l’assurait que tout allait bien se passer, qu’elle n’avait qu’à être elle-même. Il s’agissait tout de même de prendre le thé avec la reine d’Angleterre.
« Le fait qu’elle soit fière de ses origines est extrêmement important. Les personnes de couleur le percevront comme une approche très positive, moderne et bienvenue. »
Non seulement Meghan a déjà été au cœur des débats autour de l’ethnicité en Grande-Bretagne mais ses origines en font un symbole aux États-Unis. En effet, on considère le couple royal mixte dans la lignée de la Génération Loving, qui tire son nom des époux de Virginie, Richard et Mildred Loving, arrêtés en 1958 et emprisonnés pour le crime de miscégénation. Jusqu’à l’arrêté de la Cour suprême de 1967, Loving vs Virginia, le mariage interracial était interdit par la loi dans certains États.
Beaucoup d'autres personnes, y compris son ancien ennemi, John Junor, furent émus par le courage qu'elle avait montré en partageant ses sentiments avec le public, et en même temps attristés de la perdre. Il écrivit : "Ma propre opinion sur la princesse de Galles a subi des modifications. Mais il y a un aspect de son caractère sur lequel je n'ai jamais eu le moindre doute. Elle est du côté des anges. C'est une personne chaleureuse et bienveillante qui illumine chaque pièce dans laquelle elle entre. Elle aime les gens. Et les gens en sont venus à lui vouer une profonde affection."
William, Harry et maintenant Catherine ont repris à leur compte les combats que menait Diana et qui lui ont valu tant de respect. Durant les seize ans de son existence et malgré des débuts chaotiques, le Memorial Fund a distribué le montant stupéfiant de 138 millions de livres à plus de quatre cents organisations méritantes, principalement à des populations défavorisées en marge de la société, ces groupes que Diana a défendus toute sa vie. [...]
Ainsi, Harry a visité les champs de mines du Mozambique en 2010 et en Angola en 2013 pour voir le travail de HALO Trust, une organisation non gouvernementale qui oeuvre pour la destruction des mines antipersonnel et que la défunte princesse soutenait avec ardeur. La photographie où on la voit marcher seule au milieu d'une zone minée récemment dépolluée est l'une des représentations les plus fortes de sa mission humanitaire.
"Je suis une humanitaire. Je l'ai toujours été et je le serai toujours", déclara-t-elle simplement.
En outre, le poids supplémentaire qu'elle apportait à la campagne fit une nette différence. Le sphotographies la représentant en train de traverser un champ de mines en Angola éveillèrent de force l'attention du monde. Selon la Croix-Rouge, "elle exerça un impact phénoménal".
Enthousiasmée par ce premier succès - le nouveau gouvernement britannique réagit en interdisant l'exportation et l'utilisation de mines antipersonnel et le gouvernement Clinton subit des pressions pour revoir sa politique dans le même sens - la princesse engagea des pourparlers pour visiter d'autres pays [...].