Anna de Sandre est libraire, elle est déjà l’auteure de fiction jeunesse sous le nom de plume Anne Pym. La couverture est presque unicolore et correspond parfaitement au contenu de ce roman assez déconcertant, qui va fouiller les recoins les plus sombres du comportement humain. C’est l’un des romans les plus insolites qui m’ait été donné de lire, non pas par sa qualité littéraire, mais parce que je l’ai fini en étant loin d’être sure d’avoir compris ou l’auteure avait voulu en venir.
Tout se passe à Villebasse, une mystérieuse ville du sud-ouest de la France, qui exerce un pouvoir presque magnétique sur ceux qui l’habitent, car personne ne quitte Villebasse, personne n’y pense, personne n’ose. Je me suis attachée à essayer de comprendre ce qu’était cette ville, entachée d’une lune bleue à la nuit tombée et d’un chien qui tient lieu d’oracle qui vagabonde d’habitant en habitant. Tour à tour, on prend connaissance avec les individus qui composent Villebasse, qui n’ont rien d’autre de remarquable que d’être des individus tristement banals, dans leur médiocrité comme dans leur quotidien. Il y a même deux troquets, qui, comme ailleurs, réunissent tout-à-chacun.
Bien que le récit soit une narration pure, il contient certains éléments dramatiques qui évoquent Villebasse comme le théâtre d’une ville mythologique revu à l’ère du XXIe siècle : le chien annonciateur de malheurs, les chapitres dont les titres renvoient à des fonctions précises, la ville qui semble porter en elle une fatalité, certains prénom très poétiques – Rose, Coline – certain shakespearien – Iago. Si certains possèdent des noms, beaucoup ne sont désignés que par leur fonction – clerc, avocat, podologue – instaurant en Villebasse une cité ou chacun et chacune a son utilité propre. Ce sont des choses qu’avec une seconde et rapide lecture m’ont amené à considérer sous un autre jour.
Il y a autre chose que la simple volonté des hommes en action dans ce roman, qui est bien difficilement saisissable, une sorte d’action de dieu incarnée par ce Chien, dont la présence inexpliquée signe là l’aura de mystère dans laquelle baigne Villebasse, baignée par la lumière de cette lune mystérieuse. Oracle ? Main vengeresse ? Protecteur de la ville ? Peut-être un peu tout à la fois. Anna de Sandre possède une langue richement et soigneusement travaillée, qui ne laisse rien passée et qui lui permet de s’adonner à des petits jeux, comme cette assonance dans Samuel-Os-de-Seiche, des images plein le texte, qui quelquefois s’adonnent au vulgaire.
Ce qu’il y a de déroutant dans ce roman, j’en parlais au début, c’est qu’il n’y a pas vraiment de liens entre les chapitres, il n’y a pas de narration classiquement menée, rien qui ne relie les personnages entre eux si ce n’est le fait d’être des citoyens de Villebasse. Les codes du roman classique sont clairement mis à mal, c’est une question d’habitude, on s’y fait après quelques chapitres. C’est davantage une succession d’épisodes, et après du recul et de la réflexion, j’y verrais une nouvelle forme d’Epopée moderne, Villebasse m’apparaissant comme une autre forme d’Ithaque – avec son mentalist Patrick Jane et ses jeux modernisées Games of Thrones. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, dès ma première lecture par ailleurs, ce sont ces titres si caractéristiques de l’Epopée qui résument ainsi chaque épisode tels que « Jourdan sauve une bête peu ordinaire » ou bien encore ce titre versifié « Fauchée comme les blés/Colline fait les courses ».
J’ignore si ma vision de ce bien énigmatique roman, qui possède sans aucun doute plusieurs niveaux de lecture, est juste ou erronée, mais l’image de ce chien vengeur sous la lumière irréelle de la lune me paraît plausible. C’est en tout cas une Épopée d’un nouveau genre, totalement démythifiée, désacralisée, une épopée profane, ou le vulgaire – dont l’argent – a tué le sacré et dans le sens ou il y a bien une église, mais totalement dépourvue de ses attraits de piété et de respect, la prière y est blasphémée, la foi est consumée, l’animal est la seule espèce encore digne de sens. Je suis incapable de dire que j’ai aimé ou que j’ai détesté ce roman, il m’a poussé dans une forme de réflexion plus que du ressenti, ce en quoi il se démarque parmi les autres titres publiés chaque année. Le choix de la couverture parle pour lui, c’est un récit somme toutes assez sombre, et qui même conserve indéniablement une certaine forme de poésie, même dans la vulgarité, c’est dire, ne laisse pas porte ouverte à des lendemains plus enchanteurs à Villebasse, ainsi qu’ailleurs. Puisque finalement Villebasse, ça peut être toutes les villes de France.
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