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EAN : 9782358877794
224 pages
La manufacture de livres (19/08/2021)
3.43/5   27 notes
Résumé :
Avec ce premier roman poétique et onirique, Anna de Sandre nous donne à lire la mythologie contemporaine d’un monde ravagé par nos maux ordinaires.

Au cœur d’une vallée s’élève Villebasse, entrelacs de rues centenaires où s’entassent bicoques et immeubles, comme partout ailleurs. Depuis quelques années, sans que personne ne s’en inquiète, une étrange lune bleue vient éclairer le ciel. Ceux qui arrivent ici en repartent rarement, restreignant leurs exi... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (19) Voir plus Ajouter une critique
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Commencer l'année par ce roman n'est pas chose idéale, l'entrée dans Villebasse, une ville retirée du Sud-Ouest de la France auréolée d'une lune bleue depuis plusieurs années, en plein hiver - et quel hiver - étant d'une profonde et sauvage noirceur. Rien n'est, dès les premiers chapitres, épargné au lecteur, qui fait face à la monstruosité humaine qui se donne comme rendez-vous dans cette ville étrange et qui, comme par enchantement, semble retenir parmi elle tous ceux qui s'aventurent dans ses ruelles juste une fois. Monstruosité humaine qui fait, dans le même temps, souvent face à la banalité d'un quotidien commun.

La construction narrative, la plume, et le ton, de fait, n'épargnent pas non plus, faisant osciller entre de nombreux habitants sans logique apparente de prime abord au fil des chapitres ; entre une langue recherchée et poétique, tout aussi noire que la ville qu'elle décrit, et une langue crue, d'une vulgarité brutale, au sein d'une même phrase ; entre gravité et violence de certaines scènes, et pointes sarcastiques, ou au contraire plus légères, pour d'autres.

Après être restée dubitative pendant plusieurs chapitres, j'ai fini par me laisser prendre, et par l'histoire, dans laquelle l'on comprend très vite que l'on n'aura pas de réponses à toutes nos questions, et finalement, tant pis, et par la plume, qui paraît au début foutraque, et qui finalement montre une excellente maîtrise de l'hybridité stylistique qu'elle choisit de mettre en scène pour raconter Villebasse.

Une découverte finalement intéressante à rebours.
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Une ville sombre aux habitants sans avenir, contée par une plume poétique aussi lumineuse que cette Lune bleue, fantastique, mystérieuse, accrochée dans le ciel de Villebasse.

Anna de Sandre, nous entraîne avec son premier roman, dans une lecture déroutante, mais captivante. En à peine plus de deux cents pages et trente-sept chapitres, elle nous dépeint une ville et une vingtaine de ses habitants. Cette ville, personnage principal du roman, engoncée dans une vallée dont seule dépasse cette fameuse Lune bleue, ressemble à tant de villes que nous connaissons, dévastée par la fermeture d'usines, oubliée des projets d'envergure au profit d'autres. Ces villes où seuls errent des habitants qui ne font que survivre, parfois rejoints par des personnes qui arrivent là par hasard. Ces communes souvent rurales que l'on connaît tous, du Nord au Sud, de la Bretagne au Grand-Est.

Cette ville, Villebasse, c'est le Chien qui nous la fera découvrir. Arrivé lui aussi par hasard, il est dénué de maîtres et va de maison en maison, traversant quartiers et rues. le seul point central où se retrouve régulièrement de nombreux personnages est le ventre de l'ogresse, un bar. Les personnages multiples sont tous différents, mais ont en commun une absence de joie dans leur vie, tantôt en proie à des névroses familiales, tantôt victime de la crise économique. Anna de Sandre, à travers ce voyage onirique et poétique dépeint celle qui est souvent qualifiée de France périphérique. Cette France oubliée des politiques entre chaque élection et qui ne fait parlait d'elle en général qu'avec des drames intéressants les médias.

Cette lecture est relativement perturbante tant les premiers chapitres nous perdent dans ces rues froides, enneigées où il nous est impossible de trouver un fil conducteur. C'est d'ailleurs à cette occasion que la magie de la prose de l'autrice opère le plus et nous incite à aller plus loin, pour rapidement nous emballer totalement. N'ouvrez pas ce livre si vous n'avez pas un vrai temps de lecture devant vous.

Je remercie La Manufacture de Livre, Marie-Anne Lacoma et Pierre Fourniaud pour m'avoir permis de découvrir ce roman que je relirai certainement, chose rare, tant il possède de mystères à explorer.
Lien : https://imaginoire.fr/2022/0..
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Lire « Villebasse » d'Anna de Sandre signifie presque emménager, le temps de votre lecture, dans « cette ville à zone blanche et à lune bleue » qu'est Villebasse. En effet, depuis quelques années, une mystérieuse lune bleue a fait son apparition dans le ciel, et avec elle des hivers enneigés, terriblement froids, et des phénomènes étranges. « le Chien » aussi a élu domicile au sein de cette bourgade qui longe la forêt.
Ce livre puissant m'aura autant dérangée qu'interrogée.
Les 37 chapitres relativement courts qui se succèdent font état de plus de vingt personnages, tous plus ou moins principaux, tous cabossés, abimés par la vie, soit victimes, soit bourreaux au passé douloureux. Certains reviennent plus souvent que d'autres dans l'histoire. Tout au long du livre, je me suis questionnée quant au fil conducteur de tous ces êtres en souffrance, le liant de l'histoire : était-ce « le Chien », cet animal rôdant tour à tour chez les uns et chez les autres sans jamais élire domicile vraiment chez l'un(e) d'entre eux ? Etait-ce le quartier sud de Villebasse, ce microcosme connu depuis des siècles déjà comme un lieu dans lequel on s'installait souvent définitivement ? Etait-ce la précarité sous toutes ses formes qui, en soumettant les habitants à ses règles injustes, allait me mettre, moi lectrice en attente, sur le chemin d'une intrigue dont je ne comprendrais éventuellement la résolution qu'aux dernières lignes ?
L'autrice nous amène sans tabou dans des univers aussi violents que tristes et désespérants, où se succèdent le viol, le meurtre, une agression sexuelle sur mineure, l'abandon parental, la violence, … et la cruauté psychologique, souvent utilisée de façon inconsciente. Les personnages endurent le deuil, la tristesse, tentant de faire face à cette vie malgré leurs fragilités. « C'est le lot des fragiles de tomber sans protester », écrit l'autrice.
Arrivée à un tiers du livre, j'éprouve du rejet pour beaucoup d'entre eux, violents, vulgaires, primaires. Je m'en veux alors un peu de les juger tous dans un pseudo procès sans attendre d'avoir plus d'information sur eux et me penche sur l'écriture, révélatrice de biens des secrets. Anna de Sandre pratique deux langages opposés dans son livre : le premier, très étudié (même un brin trop à mon goût), poétique, et le second, cru, parfois vulgaire. Une question me taraude : sous le manteau de laideur de certaines phrases, n'aurais-je pas su voir une certaine beauté dissimulée ? Je pose donc le livre pour réfléchir au fait qu'un être humain n'est pas tout bon ou tout mauvais, il peut alterner bonté et méchanceté voire cruauté. Il n'empêche que j'éprouve de l'aversion pour un certain nombre d'entre eux aux profils accablants et aux actes abjects. J'aimerais les savoir punis à la fin, mais…le seront-ils ?
Le Chien m'intrigue particulièrement. Personne ne l'a nommé. Dans un passage anthropomorphique, il éprouve reconnaissance et loyauté envers son sauveur et cauchemarde en dormant, du mal qu'on lui a fait subir. Son absence de jugement humain en fait selon moi, l'être le plus humain (le moins inhumain) de tous !
Dans la suite de mes interrogations, je me demande si je suis en plein roman noir ? Ou en plein roman social qui dénonce la misère sociale et ses effets sur la vie affective, pécuniaire, psychologique, morale ? On apprend que les habitants souffrent encore de la « honte du manque et de la pauvreté qui étaient venus pourrir Villebasse », suite à la fermeture de la filature en 2008. L'autrice aurait-elle prévu de faire revenir le mal comme un boomerang sur les expéditeurs ? Ou les raconte-t-elle plutôt avec empathie et sans jugement, au travers de leurs failles, de leurs incapacités à s'en sortir. « Tim enchaînait les emplois précaires. Rose était sans diplôme et sans malice ».
Je ne recommanderais pas cette lecture un soir de déprime. Quoi que ! L'autrice note dans son résumé « un monde ravagé par nos maux ordinaires ». Chez une partie d'entre eux, en effet, il en va ainsi. Et nous pourrions découvrir que nous ne sommes pas les seuls blessés, imparfaits, en échec, perdus, malheureux, à la dérive… et qu'en creusant en nous, nous pourrions bien trouver une belle source d'humanité, pourquoi pas même une source divine. « Il était distrayant de prendre soin d'un autre quand on n'avait pas le courage de s'en sortir. Jusqu'au jour où il apparaissait que, si l'on maîtrisait ces actes et cette attention pour autrui, alors il était naturel de les tourner vers soi ».
Chez les autres, ceux qui ont tué, violé, je trouve l'expression « maux ordinaires » quelque peu légère. Leur univers ultra-violent est certes leur quotidien, mais je souhaite qu'il ne devienne pas celui de tous, de toute une ville, une société.
Un premier roman qui vous plaira ou non mais qui gardera votre mental et votre esprit en alerte, en réflexion, en gestation. La fatalité sociale est-elle réelle ? Que (qui) seriez-vous devenu(e) à Villebasse ?
Une victime ? Un bourreau ?
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« Depuis que le Chien était entré dans Villebasse, aux premiers jours de cet hiver particulièrement froid, on avait le sentiment incongru que la mort survenait davantage qu'à l'habitude ici, et plus qu'aux alentours. »
L'incipit donne le ton, fil rouge d'une histoire magnétique, hivernale.Tout semble étrange, comme dans un Entre-Monde. En fusion avec un ésotérisme empreint de mystères troublants et angoissants, éloigné d'une lumière apaisante. Et pourtant, l'écriture est le toit du monde, l'olympien d'une trame sereine et poétique, magistrale jusqu'au point final. le charme d'un récit dont on ne lâche pas un point, une virgule et les traces d'un Chien (C majuscule) dans la neige qui dévoile mot à mot l'énigme parabolique.
« Une lune imparfaitement ronde et bleue, bleue comme si elle abritait au moins un océan, mais un océan de tous les chagrins du monde évaporés, dans l'atmosphère qui se seraient condensés pour se précipiter en elle sous la forme d'un liquide aux propriétés inconnues. »
Le Chien, métaphysique, sombre, déambule dans chaque recoin. Son aura bouscule tous les codes d'un village qui va observer à la loupe ses déplacements et les bouleversements que cela va engendrer. Les habitants le connaissent tous. D'aucuns savent d'où vient ce chien noir. Un mythe s'instaure. L'attitude emblématique de le Chien qui va soit régler ses comptes soit remettre d'équerre l'habitus du village en intégralité. Parfois tendre, affectueux, ou agressif, le manichéen en déplacement dans un village qui va vivre dans un souffle des plus inquiets. Un village labyrinthe dont on ne peut s'échapper. La lune étrange élève ses secrets, éblouissante en connivence avec le Chien. Ici, c'est l'ambiance qui assigne les transmutations en devenir. « Villebasse » est une oeuvre spéculative. Un roman noir qui forge les destinées dans les profondeurs les plus fabuleuses et secrètes.
« C'était indéfinissable, comme un pas de côté qui vous faisait quitter la marche du monde : une gémellité bancale qui les rapprochait comme un étai. »
« Villebasse vient de la nuit, celle qui élève et isole pour mieux affronter ses démons intérieurs et renaître à la vie. « Villebasse » est un symbole des plus oniriques. Bien au-delà de l'envergure de ce roman-fable, Anna de Sandre détient la clef de l'enchantement littéraire. Publié par les majeures Éditions La Manufacture de livres
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Quel plaisir de tenir ce bouquin en main!
Une couverture toute douce, un format ergonomique et léger, des pages souples… Bref, une lecture qui commence dans des conditions optimales!

Fin prête à plonger dans ce roman aussi noir que sa couverture…

À la lecture des premiers chapitres, on découvre tour à tour de brefs événements liés à la vie des habitants de Villebasse. On se sent entrer dans un labyrinthe sans pour autant s'y perdre car très vite, il appert que ces mini-épisodes ont tous un lien. Parfois, il s'agit d'une même scène racontée à travers des points de vue ou des personnages différents. In fine, toutes ces petites histoires s'entrecroisent et se rejoignent dans un tableau contemporain dont l'intrigue est racontée de façon mélodique. le rythme et la forme de la narration sont de toute beauté. le roman ne se lit pas d'une traite, il se savoure. On revient parfois en arrière pour relire certains passages et c'est ce qui rend cette lecture encore plus accrocheuse.

Étrangement, il s'agit d'un premier roman. Nul doute qu'il ne sera pas le dernier! J'ai trouvé l'écriture d'Anna de Sandre d'une grande particularité. Je ne parviens d'ailleurs pas à l'identifier à d'autres styles déjà lus. Un mélange de faits modernes écrits dans une langue un tantinet désuète (ce qui fait tout son charme et son originalité). Les mots sont étudiés et se combinent parfaitement de manière à ce que le lecteur ressente la réflexion qu'il y a eu derrière chaque phrase.

Ce livre est un condensé de poésie et d'humour noir qui dévoile des scènes effroyables au clair de deux lunes. On se retrouve coincés dans cet univers étrange dont personne ne semble se soucier et qui donne dès lors libre cours à notre imagination.

C'est pour moi une magnifique découverte de la rentrée littéraire!
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Villebasse était une nasse de bois et de pierres sur une terre ferme au fond d’une vallée fertile qui avait grandi machinalement dans le Sud-Ouest de la France sur un ancien oppidum grâce à un faisceau de voies romaines, de forêts et de cours d’eau. Son pouvoir de sédentarisation avait opéré dès la période du néolithique, et nul besoin d’étudier ses artéfacts archéologiques pour valider cette hypothèse : elle semblait avoir été construite pour fixer les instables. Depuis toujours, elle attirait des gens à la vie nomade qui ne voulaient ou ne voulaient plus la quitter une fois qu’ils y avaient passé une première nuit, car la petite ville semblait dotée de propriétés prodigieuses.
Certains hermétistes affirmaient qu’elle avait été un haut lieu de pratiques magiques qui visèrent, avec succès, à la rendre si bien invisible qu’elle n’avait jamais intéressé les rois ni les chefs belliqueux. Les livres d’histoire n’y situaient aucune bataille. La modestie de son apparence leurrait les plus envieux ; elle était parvenue jusqu’ici sans héritage ni subvention sur la seule béquille de la bonne volonté de ses habitants. Des gens de peu, certes, mais qui – à force d’engendrer toujours au même endroit sans jamais que leurs héritiers s’installent ailleurs ou rarement -, parvinrent à la borner et lui donner les bâtisses et les réseaux de rues que les illustres membres d’une dynastie auraient pu lui envier.
Quand la neige recouvrait Villebasse, bâchant la terre et poudrant les toits comme un glacis, alors ses habitants estimaient qu’il était l’heure de la remballe : tout s’était joué aux saisons précédentes, la pièce était terminée et il fallait rentrer. Il n’y avait pas eu d’applaudissements et le montant acquitté dès l’entrée – c’est-à-dire aux jours actifs du printemps -, devait leur donner le droit de quitter la salle de spectacle dans le calme de l’hiver nouveau.
Bien qu’ici la neige servît à effacer les ardoises et à minorer la valeur des pensées débraillées, les gens de Villebasse préféraient se perdre dans l’été parvenu et dans la vulgarité de l’effort et de la sueur, alors qu’ils pouvaient rhabiller leur cœur et leur conscience à l’ombre des murs blancs bâtis sur les pelletées amoncelées et tassées, pour peu que s’apaiser et récupérer des forces pût encore les intéresser après l’enchaînement trivial des pertes et des renoncements qui tatouaient à coups de sanglots rentrés le palpitant et les visages.
Les hommes s’épuisaient dans le vortex des heures consacrées à l’unique entreprise qui les embauchait régulièrement, et quand celle-ci les mordait un peu trop fort aux lombaires, aggravait leurs céphalées et les faisait se désespérer devant le montant des charges soustrait à celui de leur salaire, alors ces hommes s’engouffraient dans la gueule des six cafés de Villebasse qui les avalaient pour les recracher avec de nouveaux verres à leurs lunettes, épais comme ceux qu’ils avaient éclusés en quantité suffisante pour avoir un nouveau point de vue, qui était de croire, le temps du retour, que chacun d’entre eux possédait un royaume où le directeur des ressources humaines était enfin devenu son vassal. Leurs femmes les dessaoulaient sitôt le seuil franchi avec ce qu’il fallait d’injures à leur bouche grimaçante et de fatigue à leurs yeux mornes pour qu’ils se sentent également en terre occupée chez eux.
À Villebasse, la circulation des corps n’était pas mixte : celle des femmes se faisait à pied ou bien elles roulaient en monospace pour conduire les enfants à l’école, faire des heures de ménage chez les vieux ou se mettre en caisse pour un employeur de supérette qui avait supprimé des postes en rachetant le commerce à son prédécesseur. Celles qui avaient fait quelques études étaient secrétaire de mairie ou assistante juridique, et aucune de ces femmes, alors que toutes avaient pourtant la télé, ne semblait savoir qu’un autre choix était possible, c’est-à-dire autre que ce qu’elle croyait que l’on attendait de son genre.
La dentiste, l’avocate et la podologue étaient les exceptions confirmant la règle.
Les enfants de ces hommes et de ces femmes, eux, s’abîmaient devant les écrans et derrière la casse de Cazenave à coups d’ecsta, de bière et de baise brutale entre des containers et la palissade du démonteur.
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Coline s’éloigne de Mutter

Il y avait, sur le chemin de Douceborde, Le Chien que Coline croisait parfois et qui, pour peu que l’on montrât un peu d’interêt pour les bêtes – ce qui n’était pas son cas -, vous suivait du regard en souriant de toute sa gueule, assis sur l’herbe ou un tapis de feuilles, alors que son pelage crasseux, ses côtes apparentes et ses griffes cassées indiquaient qu’il était en souffrance, ou au moins négligé par son maître.

Coline savait qu’il souriait à ceux des passants qui aimaient les animaux, car des clients de Castagnon lui en avaient parlé en bien dans une discussion sur le temps qu’il fait.

A elle, il ne souriait pas, mais tendait son cou sans la perdre du regard tout le temps qu’elle mettait à le dépasser sur le chemin, et sans essayer pour autant de la suivre. Les soins de Jourdan l’avaient adouci au point que le gardien des enfers avait mué en gardien des Sept dormants d’Ephèse.

Il se postait toujours au même endroit, ou en tout cas s’y tenait les fois ou elle empruntait la voie bourbeuse qui traversait les champs de tournesols qui bordaient l’extérieur sud de Villebasse.

Coline vivait toujours chez sa mère. Elle n’avait pas de goût pour les décisions et souffrait d’une nonchalance qui l’empêchait d’agir autrement que dans l’urgence.
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Depuis toujours, elle attirait des gens à la vie nomade qui ne voulaient ou ne pouvaient plus la quitter une fois qu'ils avaient passé une première nuit, car la petite ville semblait dotée de propriétés prodigieuses.
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Depuis que Le Chien était entré dans Villebasse, aux premiers jours de cet hiver particulièrement froid, on avait le sentiment incongru que la mort survenait davantage qu’à l’habitude ici, et plus qu’aux alentours. Ce n’était pas remarquable par tout le monde, mais tout de même, la coïncidence était citée au Ventre de l’ogresse après que les clients les plus fidèles avaient claqué leur monnaie de la semaine en méchantes bières et qu’il ne leur restait plus qu’à prolonger la conversation pour rester encore un peu.
Par exemple, Cédric Volta avait perdu son oncle Vincent à la chasse au lièvre un jour de neige : les setters anglais avaient rebroussé chemin pour chercher une aide qui arriva trop tar, l’homme était déjà mort. Une crise cardiaque. Son âme en s’échappant le laissa mourir sans un cri, car la dernière volonté de l’oncle Vincent, ou plutôt son ultime réflexe, fut de garder son honneur jusqu’au bout en n’alertant pas le gibier. Et le fait est qu’une hase gestante qui s’en venait un peu plus tard varia sa course pour tracer à cinq paumes de son corps en laissant de petites crottes.
Sébastien Chapelle garda pour lui que Dieu avait exaucé ses prières, car nul n’avait besoin de savoir que Vincent Volta lui avait planté des cornes ; Cédric récupéra ses chiens, de braves bêtes à l’arrêt ferme, redoutables avec les bécasses.
Autre fait divers qui eut lieu quasiment en suivant : la petite Marion des Alliot échappa à la surveillance de ses parents et fila droit à la rivière où la nouveauté d’un embâcle de glace l’attira sur la surface gelée qui céda comme une branche.
Le reste fut plus ordinaire, à part la quantité. C’est à la mort du clerc significateur que le rapprochement se fit à rebours, s’insinuant dans les esprits avec la rapidité d’une légende ; or, chacun sait que, lorsque le soupçon devient croyance puis conviction, ce n’est plus la peine de chercher une preuve.
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Cette ville abritait tout ce qu'il y avait de plus raté, de plus tordu au monde, de plus fragile et de plus résigné, et si, en tant que candidat aux prochaines municipales, vous promettiez une tireuse à bière géante à ciel ouvert sur la place du marché, vous auriez toutes les chances d'être élu pour plus d'un mandat.
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