Anouk Lejczyk vous présente son ouvrage "
Copeaux de bois : carnets d'une apprentie bûcheronne" aux éditions du Panseur. Rentrée littéraire automne 2023.
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Note de musique : © mollat
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Nous étions des enfants sages et des histoires douces. Dès notre plus jeune âge, l'école républicaine nous a félicitées. Elle nous a fait comprendre que nous étions dans le bon chemin, celui du comportement droit et de l'esprit analytique. Elle nous a donné tous les outils nécessaires pour bâtir notre futur. Des outils conceptuels, discursifs et mathématiques. Des outils critiques exigeants et modérés, capables de saisir le monde et de croire au réel dans toute sa complexité. Grâce à notre volontarisme docile, l'école républicaine nous a affirmé que nous étions le haut du panier et que c'était une chance à ne pas laisser passer. Nous y avons cru.
Quand j’ai lâché mes affaires au milieu du studio, ça n’a fait aucun bruit. Il faut croire que le lino beige absorbe les ondes, ou que les valises n’avaient plus rien à dire. Elles sont restées silencieuses sans savoir ce qu’elles faisaient là, pour combien de temps, ni pourquoi.
(…) j’ai renversé ma tasse d’eau chaude sur le tissu épais qui me sert de nappe. Le liquide s’imbibe vite. J’y vois une carte, comme souvent. Le fissures au sol du préau : une carte. Une flaque au milieu du pré, des chewing-gums séchés sur les trottoirs, une façade en décrépitude : des contours de territoires.
Sur ma carte d’eau j’imagine ton espace. Une mer de bois et des constellations de cabanes, des lignes de désirs devenues chemin que je trace avec mon index. J’y inscris mentalement des quartiers et, avec des noisettes, je positionne les cabanes en suivant ce dont je me souviens des étoiles : Cassiopée, Orion, Lyra, oui, ça sonne chic.
Nous étions les enfants sages des histoires douces. Dès notre plus jeune âge, l’école républicaine nous a félicitées. Elle nous a fait comprendre que nous étions dans le bon chemin, celui du comportement droit et de l’esprit analytique. Elle nous a donné tous les outils nécessaires pour bâtir notre futur. Des outils conceptuels, discursifs et mathématiques. Des outils critiques exigeants et modérés, capables de saisir le monde et de croire au réel dans toute sa complexité. Grâce à notre volontarisme docile, l’école républicaine nous a affirmé que nous étions le haut du panier et que c’était une chance à ne pas laisser passer. Nous y avons cru.
Ne reste pas là, je vais t’aider. En douceur, voilà, donne-moi ton bras. Tu peux t’appuyer contre moi, bien sûr. N’aie pas honte, ils ne me voient pas. Je ne suis là que pour toi. Attrapes mes omoplates, tiens-les bien. Regarde comme elles saillent depuis mon dos, on diraient qu’elles étaient faites pour ça - attention quand même, ne me griffe pas. Tout doux. Il y a de la peau et du sang dessous. Rappelle-toi ma soeur, rappelle-toi ma petite peau de petite sœur de sang. C’est bien. Tu es debout. Je peux retourner me nicher dans ton cou.
Ce n’est pas que tu me manques, non. C'est que ta fêlure sans origine et sans nom a quelque chose d'inacceptable - il ya ton ombre qui a pris dix mètres, il y a ton nouveau regard enflé dont je ne peux me défaire. C'est inacceptable pour moi qui partage ça, tes oigines et ton nom.
Ce soir, la lune est presque pleine, tu n'as besoin d'aucune lumière pour circuler ; le Bosquet Rouge attend son nouveau sang.
À ton passage, un petit animal s'enfuit sur le côté, sans doute un mulot. La Sentinelle t'a appris à reconnaître son pelage roussâtre, ses grandes oreilles, son ventre blanc ; tu en aperçois de plus en plus souvent.
Tu traces toi-même tes chemins de traverse au gré de tes envies. Le buisson de houx, le chêne à bosses et la chandelle comme points de repère, tu déambules en chantonnant une vieille chanson aux paroles incertaines, sans lever trop la voix pour ne pas déranger les présences éventuelles.
La pluie du matin a laissé une odeur terreuse dans l'air, les mousses luisent encore. Jamais tu n'avais imaginé te retrouver là, parmi toutes les options qui s'offraient ; jamais tu n'avais pensé que la forêt pouvait être un lieu pour toi.
Comme une montée de sève, un courant intérieur te parcourt, une émotion sans contour et sans nom, qui te donne envie de rite et pleurer à la fois. Tu laisses échapper un souffle qui interrompt ta chanson, la fait tressauter en plein refrain, que tu essaies pourtant de tenir sans te laisser envahir complètement.
Je dois remettre mes pendules à l’heure et mes pieds sur terre (…) Je vais ranger mon costume d’exploratrice, démêler ma tignasse, réhydrater ma peau brûlée. Prendre soin de moi (…)
Plus rien ne te guidait hormis tes voix, trop nombreuses pour être d’accord, trop imprévisibles, pour être domptées. Alors tu suivais celle qui parlait le plus fort, à tort ou à raison. Ton corps devenait une maison ambulante, des pilotis à la place des pieds.
La forêt n'est pas qu'une étendue, c'est aussi l'ensemble des arbres qui recouvrent l'étendue. En bref, la forêt est à la fois l'espace et ce qui l'occupe. Chênes, hêtres, bouleaux, charmes, tilleuls, châtaigniers, noisetiers, houx, sureaux, fougères, lichens, champignons. Et puis vous, animaux de tout poil. Vous formez un ensemble.