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4.04/5 (sur 24 notes)

Biographie :

spécialiste de l'art contemporain
diplômé de l'EHESS (DEA Art History, Criticism and Conservation) – Université de Rennes 2, Université de Nantes
auteur du blog « Futiles et graves » http://futilesetgraves.blogspot.fr/

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A l'occasion de la 22e édition du festival Écrivains en bord de mer à La Baule, Anthony Poiraudeau répond aux questions de Guénaël Boutouillet à propos de "Churchill, Manitoba" publié aux éditions Incultes.


Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
En des temps mythiques et brutaux, ce qui était un bord d’estuaire aux limites de la forêt boréale et des terres gelées, perdu dans l’immensité indistincte et sans cartes de tout ce qu’on n’a pas encore soi-même nommé, a commencé à s’appeler Churchill. Il y avait des noms pour ces lieux de sauvagerie pourtant, mais c’étaient des brassées de noms jamais écrits ni portés sur aucun traité, des noms à coucher dehors comme Kuugjuaq ou Mântewisîpîy, des noms à courir les bois et à chasser des caribous comme Sahn tan ay de say, Tu cho ou Kîhcikamîy, des noms à ne pas être d’Angleterre, de France ou du Danemark et à ne pas avoir la nostalgie de sa vieille et lointaine patrie royale.
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Comme beaucoup de personnes, j’ai longtemps rêvé sur les cartes de géographie. Depuis l’enfance, j’ai collectionné mentalement les formes des pays, l’emboîtement de leurs frontières, les courbes des littoraux et le nom des chaînes des montagnes, des fleuves et des villes qui s’y égrènent comme les perles d’un collier, les aplats des plaines, les froncements des reliefs et tous les grands traits du visage de la terre. J’avais rassemblé la connaissance de cela comme j’avais entrepris de nombreuses et éphémères collections dérisoires, celle des timbres-poste et celle des minéraux, des feuilles d’arbres qu’on classe dans des herbiers ou des pièces de monnaie étrangères que je n’ai jamais su où ranger, mais contrairement à tous ces petits fatras vite remisés au fond de tiroirs – après que j’avais tout à la fois perdu le goût de continuer à les accumuler et obtenu de mes parents qu’ils ne me contraignent pas à les jeter -, le plaisir et le savoir reçus en regardant longuement les cartes de géographie se sont installés en moi de façon suffisamment profonde pour que je ne perde jamais, jusqu’à présent, l’habitude de m’en délecter, car toujours j’ai espéré des atlas et des mappemondes qu’ils me profitent davantage que les collections de timbres.
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À présent, la baie d’Hudson n’était plus qu’à quelques centaines de mètres de moi, je pouvais presque sentir sa masse lourde et sombre, salée et perpétuellement froide. Je n’avais plus qu’à marcher quelques minutes pour me tenir face à elle. Voir la baie d’Hudson : c’était sûrement la première chose que j’irais faire après avoir déposé mes bagages au logement que j’avais réservé, à quelques rues de là. J’attendis encore un peu avant de quitter les environs de la gare. J’étais loin, à des milliers de kilomètres de tout lieu familier ; plus loin de chez moi que je ne l’avais jamais été, plus au bout du monde et plus éloigné de la nature domestiquée qu’à aucun moment auparavant. J’aurais voulu voir le train repartir, pour sentir se refermer derrière moi la porte que j’avais franchie afin d’arriver jusque-là – pas nécessairement pour jouir de la garantie de ma séparation d’avec le monde que je venais de quitter, plutôt pour mieux me faire accepter la nécessité de rester là, de ne pas quitter ces lieux durant le mois que j’avais décidé d’y passer, et d’aller au bout de l’engagement que j’avais pris. Le train, cependant, n’allait pas repartir avant plusieurs heures, le personnel de bord me l’avait indiqué au cours du voyage, et je finis par quitter les environs de la gare sans attendre qu’un événement m’en donne le signal, et sans voir la machine et ses wagons retourner vers le Sud du Canada en me laissant à quai, comme un bagage oublié à une correspondance par son propriétaire. J’étais intimidé. Après avoir longtemps constitué Churchill, ou du moins l’idée que je me faisais d’elle, en un incomparable refuge mental contre le désespoir, ce qui n’impliquait en rien que je m’y rende véritablement, j’avais – un an plus tôt environ – fomenté un projet qui ferait sortir ce lieu lointain du statut strictement intérieur et intime dont je le dotais pour le déplacer dans le domaine du communicable, et justifierait que j’y entreprenne, finalement, un voyage : je voulus écrire sur Churchill, en raconter l’histoire, en décrire les paysages et déployer ce qu’elle peut présenter, mentalement et physiquement, à une personne qui en ferait son point de fuite.
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Et c'est ainsi que surgit la ville. Sur la droite de l'autoroute, la vue passe au-dessus d'un mamelon pour subitement laisser voir une profusion d'énormes parallélépipèdes architecturés, tous de même hauteur,alignés les uns aux autres en colonnades courtaudes, que le travelling latéral de l'autocar fait battre en alternance avec les perspectives des rues rectilignes. La soudaineté et le gigantisme conjoints de l'apparition ne la rendent pas moins effarante qu'une épave de paquebot échouée sur un alpage ou la vision d'un iceberg au détour d'un bocage.
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C'est au rythme du piéton que j'avance sur la route parallèle aux masses cyclopéennes des immeubles de brique de huit étages, bien plus larges que hauts, qui, d'où je suis, semblent construits selon un plan carré. D'énormes parallélépipèdes indifférents, dont les ouvertures se font petites, tant leurs murs aveugles les dominent en termes de surface. Des blocs d'opacité, tous volets fermés.
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D'abord parce que la science géographique relève du savoir sérieux et sanctionnable, et que je m'étais mis en tête, sans jamais pouvoir l'en sortir, que le savoir est l'instrument de la gloire et l'attribut des personnes admirables : écoliers, je comptais sur ma culture générale pour compenser l'effroi que m'inspiraient mes camarades de classe et entraver l'ascendant sur moi qu'ils pouvaient en tirer, je voulais qu'elle remplace la possibilité qu'ils m'humilint par la nécessité qu'ils m'aiment. Cela marchait mal, ce n'était pas ce qu'il fallait, néanmoins j'ai persisté dans cette croyance que le savoir me protégeait, certainement parce que ces connaissances étaient pour moi inoffensives et sécurisantes et qu'en plus, il plaisait aux adultes maîtres du monde qu'un enfant les acquièrent.
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M'éloignant de Churchill, repoussant derrière l'horizon, pour quelques heures, la silhouette de son élévateur à grains qui est son point fixe, son repère lointain et son imposant amer, tout en me sachant toujours à distance cyclable d'un retour en ville le soir même au plus tard, j'eus le sentiment intermittent de franchir les limites au-delà desquelles s'ouvre l'étendue d'un océan de terre se poursuivant sans discontinuer sur des distances infinies est propres à réaliser un changement de nature de l'espace, par lequel pouvait de quelque manière se matérialiser l'abstraction d'un ordre absolu, et il me sembla au cours d'Instants fugitifs basculer très timidement dans l'alignement domaine de nature sauvage qui s'étale sur les pages des atlas aux bords extrêmes de la feuille.
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Le squelette d'une ville entière en cours d'édification, surgi du paysage, commence à stupéfier les automobilistes qui l'aperçoivent le long de l'autoroute remontant d'Andalousie, et l'ampleur affichée du projet ahurit toutes les personnes qui en entendent parler.
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Dès que je descendais de vélo pour marcher quelques minutes, je balayais du regard le paysage entier, faisant à intervalles réguliers et rapprochés des tours complets sur moi-même. Je ne voyais pas d'ours, chaque jour pendant des heures, mais l'invisibilité de l'ourse me semblait le possible signe avant-coureur de son apparition, et de même qu'un enfant apeuré craint des recoins obscurs de la maison Qu'ils cachent voire fassent naître des fantômes, les rares replis du terrain et les constant angles morts de mon champ de vision me paraissait constitué le milieu propice à la formation d'un ours blanc, comme par un soudain précipité chimique de l'air.
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Ainsi, l'une des premières images qui m'est apparue en découvrant El-Quiñon depuis l'autoroute, celle d'une colonie terrestre implantée sur une planète à l'environnement hostile, est souvent ravivée dans mon esprit par l'inhospitalité de l'espace extérieur de la ville. J'y déambule en plein vent et sous le poids du soleil, auquel les nuages ont fini par dégager la voie. Elle est aussi ranimée par la réticence des bâtiments à ouvrir leur opacité au dehors. Et le farouche mutisme qu'opposent la plus souvent à mon salut les rares personnes que je croise dans les rues ne dissipe pas ma auge sensation d'être un alien égaré...
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