Vendredi 27 février 2015, Éditions Guérin Chamonix Mont-Blanc... Soirée hommage à Marco Siffredi... Présentation du livre La Trace de lAnge, la vie de Marco Siffredi... Avec Antoine Chandellier auteur du livre et Bertrand Delapierre compagnon de glisse de Marco... Animé par Christophe Raylat, lecture Lorraine Berger Afanassieff des Éditions Guérin...
Difficile de mettre des mots sur cette compulsion. Marco n'a que 23 ans et il se sent vieux. Le Nant Blanc, il a l'impression que c'était il y a un siècle. Il faut qu'il reparte à l'Everest, au Hornbein. Maintenant. Tout de suite. Sinon, il aura perdu un an dans l'agenda de ses rêves de géant. Ce vague à l'âme est révélateur de son entrée de plain-pied dans un monde adulte où la réalité veut sans cesse rattraper les illusions. Marco veut vivre à son rythme : vite.
Frison inspire la sympathie du personnage d’Hergé. Par sa mobilité, sa propension à utiliser les moyens modernes, la radio au sommet du mont Blanc ou le radar dans le Ténéré, cette impression que la Terre lui appartient et qu’il se sent à l’aise loin de ses bases dont on ne sait plus trop où elles sont. Il aurait adoré Internet. Le comparer à un personnage de fiction peut sembler absurde. Mais à la différence de l’auteur de bandes dessinées, lui voyageait autrement que par ses héros. Lui-même était une sorte de héros. C’est vrai, les bonnes âmes qu’il a agacées pourront s’appuyer sur ses reportages, sur quelques passages de ses romans sahariens ou de Premier de cordée, publié pendant la guerre, pour déceler des élans conservateurs par-ci, un soupçon de pensée coloniale par-là, qui sont, finalement, plus le reflet d’une époque que de son âme profonde. C’est ce même procès que l’on fait, des décennies plus tard, à Hergé pour Tintin au Congo. Mais Frison, mieux que Tintin, rarement surpris une plume à la main, donne l’impression d’être sans arrêt connecté à sa machine à écrire, tant son œuvre est prolixe.
Frison, entre naïveté sincère et lucidité désenchantée, n’était pas de la veine de ces auteurs qui se prennent au sérieux. J’aurais dû le savoir. Si le voyageur parcourait le monde, c’était autant pour y rencontrer la diversité des peuples que pour s’émerveiller des paysages, j’allais m’en rendre compte. Il était la curiosité incarnée, et se fichait comme d’une guigne de sa place dans la littérature. Il le martelait : « Je ne me suis jamais posé la question de savoir si ce que j’écris restera ou non. » C’est vrai, après tout. Il ne fit qu’écrire sa vie. Mais quelle vie ! Un musée sur papier. Le Nord, le Sud, les bistrots, la guerre, le sable, les vaches, les méharées, la forêt, les grands reportages… Rien ne manque, sauf peut-être l’élément marin.
Au fond, pour obtenir les meilleures versions de ses aventures, il faut appartenir à son cercle d'amis. Dans la chaleur de ces nuits d'été, dans l'ambiance débridée des barbecues chez Hervé, quand Marco, face à son auditoire, se lâche. Là, il est à l'aise, il devient volubile. Ses fous rires viennent étayer la narration d'une épopée que sa bouche et ses mots rendent drôle, évidente. Sa folie accessible.
Qu’importe ! Après tout, l’Ilaman est tout près de Tamanrasset. Il devait tomber un jour. N’importe qui peut prendre l’autobus et faire deux jours de chameau, relativise le chef de l’expédition alpine française au Sahara. Mais nous gardons pour nous l’inconnu : la Garet el Djenoun, le plus haut sommet au nord du Hoggar, c’est elle la montagne des légendes.
On évoque « l’homme qui aimait les hommes », l’homme qui savait parler aux hommes en leur racontant une nature qui les dépasse, l’homme qui avait mis la montagne à portée de piolet, l’Arctique au bout d’une traîne et ancré le sable des grands ergs dans les esprits. Et qui, toujours, est rentré à la maison. Le curé prend un ton affectif. Comme si tous ceux qui étaient venus communier étaient ses proches.
Pour Marco, la vie doit avoir la vigueur d'un torrent de montagne. Sinon elle ne vaut d'être vécue.
« Il semble qu’en s’élevant au-dessus du séjour des hommes, on y laisse tous les sentiments bas et terrestres et, à mesure qu’on approche ces régions éthérées, l’âme contracte quelque chose de leur inaltérable pureté. »
Jean-Jacques Rousseau
Les alpinistes sont-ils des crétins admirables ou des héros inconscients?
Quand une cordée perd celui qui va devant, son premier de cordée, elle doit reprendre ses esprits, s’habituer à ne plus voir sa silhouette et puis la vie continue.