Citations de Ariane Bessette (19)
La clarté s'enfuit par de minces fissures
de cette contemplation
nous gardons les premiers mots
les imprudences amoureuses
Et la violence se multiplie, des rhizomes innombrables, elle germe dans ceux qui la subissent, ronge ceux qui en remarquent les vestiges, tache la peau de ceux qui ne connaissent d'autre solution qu’elle.
La fatigue, fidèle ennemie, les nuits ne laissent aucun répit. Avant les coups ne venaient que de lui ; maintenant, c’est également mon corps qui s’acharne contre lui- même.
Je me demande parfois comment était la vie avant.
Comment elle sera après, je ne me pose pas cette question.
L’espoir s’est tari, effiloché. En moi, cette seule certitude du temps qui rétrécit : ma vie achève.
C’est lui ou moi. Lui ou moi
Tout dans ses gestes, ses paroles, la façon que sa bouche avait d’articuler ses mots, signalait une force tranquille, un contrôle absolu, une soif de pouvoir encore plus forte dans le rapport aux autres qu’à soi. Je le regardais à la télévision, je lisais ses interventions retranscrites dans les journaux, et la question qui me venait à l’esprit était : qui est- il ?
a ce don de ne rien exiger, de ne rien demander directement, de m’amener à réfléchir, toujours, comme s’il guidait mes pensées. Il a raison, nous le savons tous les deux. Avec lui, j’ai l’impression de m’élever, de grandir.
Sous son corps, une mince serviette de plage et, dessous, le sable brûlant et doux. Certains aiment en faire des châteaux, crever la plage de leurs seaux, transvider d’ici à là tout ce sable, s’y enfouir complètement, s’enterrer vivants dans son ventre chaud. Lui aime creuser dedans de la pointe du pied, rester là, dans la terre de plus en plus froide, et ressortir se dorer l’épiderme à l’extérieur du sable.
Ce qui n’est plus utile, comme si la vie était une suite d’accoutumances et de besoins en perpétuel changement, qui demandaient un constant recalibrage. Les poubelles témoignent aussi de secrets plus importants, de passions et de dépendances laides, savamment escamotées par le noir du plastique.
Les gens viennent parfois directement à Bill pour lui céder des objets dont ils veulent se départir. La ferraille ne tolère pas les nouveaux, pas plus que les solitaires. Faisant fi de la préférence de Bill pour le silence et l’anonymat, elle force la parole, la néces-site. Le troc, l’échange de services, le bouche- à- oreille, tels sont les tenants de son fonctionnement.
De temps en temps, un commentaire perce le silence. Les bottes de Bill traînent sur le plancher couvert de garnotte. Ils sont tous chaussés de grosses bottes de travail à moitié lacées, que Linda maudira plus tard en passant le balai.
On ne veut plus de ces objets, on les met à la porte de chez soi. On les abandonne, ils ne sont rien, ils ne valent rien. Puis, dans un processus dont seul le ferrailleur connaît la recette, ce monde de déchets et de crachats métalliques devient une mine d’or entre les mains de Bill.
Métier quasi alchimique que celui de la ferraille, car il appelle un autre regard, demande à voir au-delà des apparences, plus loin que les objets, jusqu’à ce qui se vautre dans leurs entrailles. Le moteur des laveuses, celui des ordinateurs ou des airs climatisés, le fil qui court sous le caoutchouc ou dans les poteaux. La liste est longue.
À force de prendre le même chemin, le Dodge pourrait quasiment progresser seul, deviner les arrêts habituels aux garages du quartier, où les propriétaires laissent Bill ramasser les pièces dont ils ne veulent plus, des outils brisés et de la jante rouillée à la vieille batterie en passant par un catalyseur, véritable or en barre.
Être ici en même temps que lui. Être dans la pièce d’à côté. Angoisser à l’idée qu’il me rejoigne, qu’il vienne près de moi. Qu’il sache ce qu’il y a en moi, oui, qu’il devine. Je suis un imposteur. Ai- je d’autre choix ? Tous les jours, je cumule les masques, j’alterne ceux de la femme docile, obéissante, amoureuse, désirante. Je simule du mieux que je peux.
Pour sauver ma peau.
Les yeux tentent de fuir la tache rouge vif sur le sol. Il a soif, mais ne demande rien. C’est une soif qui ne peut s’étancher, et il attend.
Ce qui nous entraîne nous pèse
comme une lenteur
greffée à la peau
je dirai l’acuité
la résonance sans doute
quelque portrait impossible
Sentir qu’il n’y a eu entre nous
qu’une longue conversation
toujours la même :
en retrouver la source
L’absence trace de minces lignes
il n’y a plus la douceur
du souvenir
Entrouvrir la fenêtre
alentour un vaste abandon
nos rêves y dorment
entre deux paumes rassemblées
de l’horizon
s’exulte l’espoir
Parfois
le vide
son amplitude
dépasse
jusqu’à la réalité
de ton existence