Aurélie Gauthier

Quelques rides s’étaient creusées sur sa peau. La langue française avait un mot pour les qualifier. Des pattes d’oies au coin de ses yeux verts, alors que ses lèvres étaient encadrées par des rides du sourire. Ce reflet à la jeunesse perdue l’abattu. 

Maintenant elle s’accroupit, caressa l’entrejambe de son amant. Elle savait qu’il ne renoncerait pas à ce genre de friandise. Tandis qu’elle fit glisser sa braguette, Gaspard, totalement désemparé, la prit de nouveau par les poignées et la força à se redresser. Le visage de la jeune femme se referma aussitôt. Elle n’était pas triste. Non, elle était énervée, comme un enfant à qui on avait retiré sa sucette. Toujours avec ce regard de défi.« Ce ne sont pas juste les rumeurs. Je suis désolé si je t’ai fait croire en une possible histoire entre nous deux, mais je n’ai pas quitté ma femme pour me remettre avec une autre.

De ses vingt-huit années de vie, il était le pire de tous. Jamais elle ne s’était autant disputée avec son époux. L’amour qui les unissait avait été mis à l’épreuve de nombreuses fois. Son cœur se fissurait plus à chacune de leur querelle. Que restait-il de leur histoire à part leur statut de mari et femme ?   

Elle en voulait à ces personnes tombées dans la paranoïa qui, de peur que leur animal de compagnie leur transmette le virus, avaient jugé bon d’abandonner leurs compagnons à quatre pattes. Matilda avait déjà en horreur ceux qui abandonnaient leurs animaux en refuge, surtout pour une raison aussi stupide et peu défendable à ses yeux. Mais ce qu’elle détestait encore plus était les personnes sans cœur, qui s’étaient un jour présentées à un refuge pour promettre un avenir radieux à leur animal jusqu’à la fin de ses jours. Dans ces belles paroles, ils promettaient de prendre soin de cette petite bête qui apporterait la joie dans leur domicile.

En grand amateur de technologie, Gérôme avait tout ce qu’il fallait pour filmer. Matilda s’était permise de fouiller dans son armoire. Elle était partie à la recherche de Gérôme aussitôt après avoir mis la main sur ce qu’elle cherchait. 

Dans ses failles de séducteur, Gaspard s’était fixé deux règles : ne jamais coucher avec une collègue et ne jamais fréquenter la sœur ou la fille d’une connaissance. Comme il n’avait pas pu respecter sa règle de rester discret face à Pauline, il n’avait su se tenir à ces principes. À croire qu’il était tombé dans un piège lorsque l’envie lui prit de séduire cette jeune stagiaire de 22 ans.C’étaient les yeux vert émeraude et la longue chevelure blonde étincelante de Jade qui l’avait fait succomber. Pétillante et aventurière, tout lui rappelait la Pauline des beaux jours. Celle qu’il avait aimé au premier regard.

Pour une raison qui lui échappait, elle sentit un déchirement dans sa poitrine. Elle aurait souhaité lui parler, apprendre à le connaître. La bouche entrouverte, aucun son n’en sortit, comme interdite. Une force invisible l’empêchait d’agir. Elle avait déjà parlé avec des garçons, ce n’était pas la question. Elle était d’ailleurs parvenue à créer des liens d’amitié avec les amis de Bella. Alors pourquoi ne parvenait-elle pas à sortir le moindre mot. Ses lèvres demeuraient figées. 

À chaque fois, elle était confrontée aux étagères vides de quelques rayons qui témoignaient des pénuries de quelques produits tels que les papiers toilettes et les pâtes. Elle voyait les gens devenir fou à remplir leurs chariots à ras bord. Elle était lasse de demander chaque semaine à ses parents pour se rendre au parc près de l’école, retrouver ses camarades de classe. La réponse restait inchangée : c’était impossible puisque les parcs demeuraient fermés.

Le temps des émois d’un amour naissant avait disparu depuis longtemps. Avant la fermeture des frontières, Matilda souffrait déjà des longues absences de Gérôme qui partait très souvent en Allemagne. Gérôme la touchait à peine. Ils étaient devenus des étrangers l’un pour l’autre, un vieux couple aux rapports rares. Elle soupçonnait Gérôme d’aller voir ailleurs, lors de ses « voyages d’affaires », d’où il revenait souvent avec une odeur de parfum pour femme.

Bien qu’elle comprît la valeur sentimentale que pouvait représenter cet appareil, elle pensait qu’il avait mieux valu la perte de cet objet que celle du jeune homme. Les souvenirs contenus dans l’appareil étaient certes perdus, mais certainement pas à jamais. S’ils avaient de la valeur, ils demeureraient à jamais présents dans son cœur. Elle bénissait cet engin qui s’était sacrifié pour son propriétaire et qui lui avait permis de faire sa rencontre.