Je suis leur toute petite fille, ils sont mes parents, et si l'on me demande encore si ce sont mes vrais parents, je dirai : "Faites le test du coeur, et vous verrez!"
Avec beaucoup de précautions, Veronica essaie de me décrire ce que peuvent endurer ces femmes contraintes d'abandonner leur enfant. Elle ne leur pardonne pas, mais elle les comprend. La différence est de taille.
Qu'est-ce que le bonheur? Où est-il? Est-il identique pour tous? Se donne-t-il? Se prend-il?
"Tu sais, tu es une personne qui perçoit très bien les gens. Tu es lucide. Mais il est dangereux d'avoir la langue trop bien pendue."
Quelle chose étrange que l'adoption. Comme elle change tout, non seulement en nous mais surtout autour de nous.
Toute cassure est pour moi une sorte de nouvel abandon.
Certains souvenirs s'estompent avec le temps. Mais les sensations demeurent.
La maison n'était pas grande, mais comme j'étais très petite, elle l'était suffisamment pour moi.
La mort serait ma compagne la plus sûre. Elle est toujours là quand je sens cette cassure de ma naissance ratée.
Elle m'explique que nous avons dans les veines du sang chilien, donc une nature forte et un caractère différent de celui des Français. Aussitôt je revois les contrastes de la terre chilienne, la force des montagnes de la cordillère, les larges plaines, les vallées boisées... Aucun doute, mon tempérament est bien à l'image de ce décor.
Le jour de la rentrée, un peu timide, je restais assise à mon bureau. Je me souviens qu'une fille de type arabe a pénétré dans la classe avec une amie et lui a murmuré: «Tu vois, la nouvelle, elle est typée, on va devenir copines. » Aussitôt, je me suis dit qu'il faudrait que je me méfie d'elle. Les origines d'une personne ne me semblaient pas une bonne raison de devenir amies. La suite me prouverait que mon intuition était juste : lorsque plus tard, en confiance, je lui révélerais mon adoption et mon origine chilienne, elle me reprocherait mon attitude « complaisante » avec les gens d'ici , me traitant de « petite bourgeoise francaise » ingrate envers son pays natal. C'en serait fini de notre amitié.
Elle me parlait aussi de ses enfants, pas beaucoup de son mari car elle sentait que je ne le souhaitais pas vraiment. Que, même si je l'aimais bien, il était le directeur. Je ne disais jamais « votre mari ». mais
Pourtant, l'année suivante, il récidiva sur un élève de sixième. Le garçon ne voulait plus aller au dortoir et restait des heures à l'infimerie. L'infirmière s'en inquièta. Alors l'enfant exprima ses craintes envers le surveillant du dortoir. Cette fois-ci, une enquête plus approfondie eut lieu, l'incriminant enfin.
Il avait fallu plusieurs victimes pour que certains prêtent foi aux dires des enfants. J'étais révoltée. Cette histoire me confirma qu'il y avait un fossé immense entre nous et les adultes.
Avec mes amies, on s'aspergeait d'eau bénite pour devenir des saintes ! Je priais, je demandais pardon pour mes bêtises, pour mes colères, pour le chagrin que je causais à mes parents. Après, je me sentais mieux. Et puis, je savais que Dieu et Marie m'aimaient malgré tout. Pour moi, cet Amour était magique. Il existait au moins deux personnes qui m'aimaient vraiment! Je ne les voyais pas, mais c'était merveilleux.
Je me figurais alors que les enfants, quand ils n'ont pas de parents, arrivent toujours en avion.