Le désir d’aimer constitue, sans aucun doute, l’aspiration essentielle de mon être, mais ce désir se trouve souvent paralysé par le sentiment de ne pas être aimé et par conséquent de ne pas être aimable, ou, pour le dire encore plus simplement, par l’absence de foi en soi. Ne croyant pas en ma propre amabilité, je suis un être toujours en train de négocier son existence, stipulant les conditions à remplir et les comparaisons à faire pour que je puisse croire dans l’appréciation des autres. Et pendant que je suis là à négocier mon existence, à m’efforcer de remplir les conditions posées, à chercher par ma performance à dépasser les autres, je me rends tout à fait incapable d’être touché par l’amour d’un autre. Je suis comme un individu qui a une adresse, mais ne se trouve jamais là. Si quelqu’un m’exprime de l’affection, je suis incapable d’y croire.
Le dominicain anglais, Herbert McCabe, écrivit un jour que s'il avait à résumer en une phrase le message de l’Évangile, il dirait : "Si tu n'aimes pas, tu n'es pas en vie ; si tu aimes, tu vas être tué."
On connaît la place de l'estime de soi dans les ouvrages de vulgarisation de la psychologie. Elle est devenue la vertu par excellence, et son absence le premier péché capital, celui qui a pris la place de l'orgueil. Cela ne devrait cependant pas nous empêcher de regarder l'amour de soi comme l'attitude spirituelle fondamentale, sans laquelle il est impossible de résister à la tentation de nous fuir vers la conquête de l'appréciation.
Je ne cesse de m'étonner devant ce que je découvre dans l’Évangile quand j'entreprends de le lire à la lumière du désir d'aimer. Je vois alors en Jésus le "Maître du désir", dont la première préoccupation, dans son rapport avec ses disciples, est d'éveiller chez eux leur désir profond. Il est à l'égard du désir ce que Socrate a été à l'égard de la pensée : un éveilleur.
le grand danger qui guette [les disciples de Jésus] est l'illusion de l'imaginaire, c'est-à-dire l'illusion de penser que nous aimons vraiment Dieu alors que nous aimons une image de Dieu par nous fabriquée. [...] il est impossible d'aller à Dieu autrement que par l'être humain.
Pour apaiser notre peur de ne rien valoir et de ne pas mériter d’être aimé, nous avons inventé un remède, qui est à l’œuvre dans à peu près tous les secteurs de la vie humaine : la compétition.