Trailer: The Replacement - Brenna Yovanoff
"Je me suis demandé combien de personnes jouaient la comédie sans en avoir véritablement conscience. Pendant des semaines, je m'étais raconté que mon plus grand rêve était d'aller vivre chez mon père,et pourtant quand l'occasion s'était présentée, je l'avais troquée, à la dernière minute, pour un saut dans l'inconnu."
"Je connaissais la vérité maintenant. Le monde était un endroit immense et chaotique, et j'y étais seule, toute seule. Dans ce cas, autant rester près des monstres : ils ne vous prenaient jamais par surprise au moins."
Dans l'histoire, Emma a quatre ans. Elle sort de sa chambre et traverse le couloir en pyjama. Quand elle touche la petite main entre les barreaux, la chose dans le berceau se rapproche, essaie de la mordre, alors elle retire ses doigts, mais ne recule pas. Ils passent toute la nuit à se scruter dans le noir. Au matin, la chose est toujours tapie sur le matelas aux imprimés d'animaux et la regarde. Ce n'est pas son frère.
C'est moi.
- Qui êtes-vous ?
Elle sourit encore, me caressa le visage.
- Je suis la terreur.
J'eus l'impression d'être effleuré par un morceau de parchemin, tant sa peau était fine.
- Je tire ma force de leurs peurs et je m'en nourris.
Mille choses peuvent survenir et vous effrayer jour après jour. Et si quelqu'un de proche se révélait atteint d'un cancer et qu'il arrive quelque chose à votre soeur, à vos amis ou à vos parents ? Si vous étiez renversé par une voiture en traversant la rue, ou si vos camarades de lycée découvraient que vous êtes un monstre ? Ou si vous vous enfonciez trop loin dans le lac et que l'eau vous submergeait ? Et s'il y avait le feu ou la guerre ?
De quoi vous empêcher de dormir toute la nuit, d'autant que ce sont des choses parfaitement réelles. Possibles.
Michael Myers était le genre de monstre qui m'horrifiait le plus, parce qu'il était bien réel. Je ne veux pas dire qu'il existait dans la vraie vie, je veux dire qu'il aurait pu exister. Il ne parlait pas, ne retirait jamais son masque, et malgré tout il restait un homme. Et des hommes, eh ben, on en trouve partout, il y a toutes sortes d'individus dangereux sur terre. Peut-être pas exactement comme lui... mais pas loin. On ne peut les éviter, alors sans doute mieux vaut apprendre à vivre dans le même monde qu'eux.
La morale de cette histoire est qu'il ne faut pas attirer l'attention. Ne pas avoir de doigts déformés. Ne laisser personne s'étonner de son aptitude à accorder des instruments à l'oreille. Ne pas montrer les élans de son coeur, sinon, dès que quelque chose ne va plus, on risque de se retrouver pendu à un arbre.
Tout le monde a des racines, des origines. Certaines sont juste plus accessibles que d'autres.
La fillette leva la tête vers moi, mais quand elle sourit, j'eus un mouvement de recul. Si son visage semblait plutôt jeune et timide, son sourire laissait apparaître plusieurs rangées de quenottes acérées, cinquante ou soixante plutôt que trente-deux.
Emma, la menteuse-en-chef, la reine des mon-frère-est-normal, mon-frère-est-timide. Mon-frère-est-malade, il a des des allergies, une mononucléose, une intoxication alimentaire, la grippe... Le plus gros, le plus énorme mensonge de tous: mon frère.
En quittant le crassier, je retrouvai l'atmosphère moite et poisseuse de l'automne, avec cette pluie qui n'arrêtait pas de tomber. J'escaladai la pente du ravin, traversai la passerelle, remontai Orchard Circle en direction de la maison. Dans Concord Street, les lampes des perrons formaient une ligne à peu près droite d'un carrefour à l'autre.
Arrivé chez moi, je grimpai au premier, m'arrêtai sur la dernière marche et m'appuyai à la rampe, le temps de faire bonne figure avant d'entrer dans la chambre d'Emma. J'entrouvris sa porte, collant ma bouche dans l'embrasure pour pouvoir murmurer sans laisser entrer trop de lumière.