Caitlin Crews

Tous les hommes pour qui elle avait travaillé n’avaient jamais eu la moindre attention gratuite à son égard. Dans son monde, on n’était pas galant sans avoir une idée derrière la tête.

Avant de poser un pied sur cette île, Lucinda avait toujours su ce qu’elle désirait. Ça avait été un chemin tout tracé : trouver Jason Kaoki sur son sanctuaire reculé, le convaincre de la laisser y construire l’hôtel dont elle rêvait et grimper les derniers échelons qui la séparaient du succès. Pendant son long voyage depuis Londres, elle n’avait pas un seul instant pensé que les choses pourraient se passer autrement – parce qu’elle était très, très douée pour parvenir à ses fins.

Son pouce caressait toujours son visage comme s’il était déjà son amant. Comme si c’était un avant-goût des ébats fiévreux qu’il comptait lui réserver ensuite.

Le danger qui émanait de ses yeux carnassiers et de son corps de prédateur finit de lui couper le souffle. Elle n’aurait jamais pu expliquer à qui que ce soit ce qui avait à ce point changé, mais elle le ressentit clairement.

Elle avait pensé que toute cette tension sexuelle entre eux était aussi simple que l’eau, le ciel. Juste la nature qui s’exprimait d’une autre manière.

Bien sûr, il faudrait y penser plus tard. Elle avait déjà commencé à lister des arguments dans sa tête, tous plus rationnels les uns que les autres…

On ne se bat pas contre les vagues, c’est le meilleur moyen de plonger la tête la première dans l’eau. On ressent les vagues, chacune à son tour.

Il l’attira de nouveau contre lui en plaquant sa grande main sur ce ventre plat si lisse. Il aurait tant voulu la dévorer, toute tremblante et rouge qu’elle était. La dévorer entière et ne rien laisser.

Elle avait envie de cet homme. Tout entier, si immense et fort, si différent de tout ce qu’elle avait pu connaître. Elle n’avait encore jamais eu de temps pour ces jeux de séduction. Elle préférait sortir boire quelques verres et trouver un homme attirant dans un bar, l’aborder puis l’emmener chez elle.

Mais ce qui se passait aujourd’hui n’avait rien à voir avec ces aventures vaguement alcoolisées dans lesquelles elle gardait toujours le contrôle et auxquelles elle mettait fin quand elle le voulait.

Les yeux de Jason l’embrasaient. Elle put y lire clairement tous les désirs qui lui passaient par la tête. Toutes les images qui se succédaient dans son esprit ; comme s’ils regardaient ensemble le même film dont ils étaient les héros.

Elle avait presque l’impression de se tenir au bord du monde, au sommet d’une dangereuse et hypnotique falaise. Le diable était derrière, la mer devant, et son corps traître se tenait en plein milieu.

Cette fois, quand la chair de poule recouvrit son corps, elle sut qu’il pouvait la voir. Son petit rire sensuel la fit frissonner plus que jamais.

Le seul moyen de s’en sortir était d’aller de l’avant, se répéta froidement Lucinda.

Elle supporterait l’épreuve, quoi qu’il arrive, et c’était ce qui l’avait décidée à entrer dans ce bureau pour se changer. Elle n’avait encore jamais reculé devant un défi et elle n’avait pastraversé la moitié du monde pour se laisser marcher dessus.

Elle en avait souvent eu besoin, pour s’extirper du marécage de pauvreté qu’avait été son enfance. Elle pouvait lire les émotions des autres comme dans un livre et l’avait toujours fait avec brio – surtout quand il s’était agi d’éviter le poing aviné de son père ou les remarques amères de sa mère. Elle avait appris très tôt à fuir les personnes louches qui traînaient dans les escaliers de son immeuble et savait faire la différence entre un ado qui s’ennuie et un criminel dangereux, alors que, de loin, ils se ressemblent souvent. Oui, c’était un talent qu’elle avait cultivé très jeune et qui lui avait toujours été précieux.

Plus elle avait su lire les émotions de ses supérieurs et de ses clients, plus elle avait été capable d’anticiper leurs désirs. Et plus elle s’était rendue indispensable. C’était grâce à ça qu’une fille comme elle avait fini vice-présidente d’un groupe hôtelier international, alors que la plupart de ses amis d’enfance n’étaient jamais sortis de leur banlieue.

Elle ne voulait que ça. Il était hors de question qu’elle passe sa vie à travailler pour quelqu’un d’autre ou à abandonner tous ses succès à un patron qui, bien qu’assez correct en général, ne se privait pas pour s’approprier ses meilleures idées comme si c’étaient les siennes.

Tout le monde se moquait d’elle quand elle faisait le dos rond et le caressait dans le sens du poil.

Oh oui, elle avait besoin de gagner, cette fois !

Mieux valait ne pas lui montrer ce qu’elle était disposée à lui offrir. Ce qu’elle pouvait marchander.

Que faisait-elle ? Il était grand temps qu’elle comprenne et qu’elle se ressaisisse.

Parce qu’elle avait besoin de ça. Elle avait besoin de gagner. Elle devait faire ses preuves, une bonne fois pour toutes, pour que plus personne ne puisse s’approprier ce qu’elle avait gagné si durement. Elle était lasse de se battre pour des miettes. Même si elle n’avait pas envie d’admettre cette vérité…

Elle n’était pas devenue cajoleuse et séductrice ; elle n’avait pas commencé à jouer innocemment avec les boutons de sa blouse pour mettre en valeur sa poitrine parfaite. Son dos restait plus droit et rigide que jamais.

Et pourtant, il était clair que quelque chose venait de changer.

Il pouvait sentir la tension électrique et bourdonnante entre eux. Il essaya de se persuader que cette dernière tentative pour l’atteindre l’amusait, mais son sexe, lui, ne riait pas. Il était hypnotisé.

C’était bien pire.

Il aperçut la vraie femme, derrière cette façade propre sur elle – et cette femme était lumineuse. Elle était intelligente et sauvage. Un fauve aux crocs acérés, avec lequel Jason avait envie de jouer pour voir s’il en sortirait avec des marques sur la peau.

Quelque chose s’éveilla en lui et s’échauffa.

Vous savez, les gens ne s’installent en général pas sur des îles sans nom perdues au milieu de l’océan pour y entretenir de la compagnie. Pourtant, les petits comptables comme vous sont comme des fourmis qui viennent en bande gâcher mon pique-nique.

Les bonnes manières sont toujours importantes, surtout dans les situations délicates.

Il avait toujours préféré les femmes un peu sauvages, qui étaient capables de tenir la distance avec lui. Mais plus il dévisageait cette nouvelle venue, pâle sous ses cheveux de flamme trop bien maîtrisés, plus il se demandait si celles qui se prétendaient civilisées n’étaient pas finalement les plus passionnées de toutes, sous leur cuirasse.

Sa poitrine était ferme et ronde, appelant les caresses à travers le tissu presque transparent de la blouse fluide qu’elle portait. Elle était assez grande, mais pas tant que ça, comparée aux mannequins que Jason fréquentait d’habitude, fasciné par leurs longues jambes si sexy une fois passées sur ses épaules. Et, en dépit de l’air pincé qu’elle affectait, elle ne pouvait cacher la rougeur qui envahissait ses joues pâles – une rougeur qui était due pour l’instant au soleil, mais il avait vite l’intention d’y remédier.