Quels psys pour les "surdoué·es".
La recherche de la bonne personne avec laquelle travailler est souvent un parcours du combattant pour les "surdoué·es", pour des raisons qui ne tiennent pas à une question de manque d'expertise. C'est en amont que se situe le problème.
Même les milieux alternatifs, revendiquant explicitement le non-conformisme et la révolte, sont extraordinairement producteurs de normes et l'attitude majoritaire consiste à utiliser ces normes exactement de la même façon que dans tout le reste de la société : en y collant au plus près pour garantir son appartenance et en édifiant une morale qui permet de condamner tout écart.
Quel que soit le mot sous lequel la dette leur a été déclarée, ils passent leur vie en ayant le sentiment de gâcher ce potentiel qu'ils auraient dû exploiter. Il est temps d'en finir avec cette tyrannie de l'agir et de revendiquer le droit de ne rien faire de ce potentiel.
En d'autres termes : lorsqu'un groupe fonde un système de normes, il doit aussitôt tenter de présenter ces normes comme un absolu, masquer le fait qu'elles auraient pu être différentes et que, in fine, une partie de ces normes tient à des contingences d'une infinie fragilité (à quoi tient le fait que telle tribu d'Indiens d'Amazonie se soit construite par identification au jaguar plutôt qu'à un autre animal ?). C'est seulement ainsi qu'il permet aux individus de construire un sens qu'ils imaginent ABSOLU à leur propre existence. Lorsqu'il s'agit des mythes dans les sociétés tribales ou des textes sacrés, cet aspect du discours est une évidence. C'est justement pour conférer à ces valeurs une dimension absolue que se forge un récit où elles sont toujours reçues d'entités supérieures (esprits, dieux, etc.) dont on admet en outre, soit ce qui permet de disqualifier l'utilisation du principe de non-contradiction à leur propos. Mais, là encore, cela ne se limite pas au champ du religieux. Dès que ce se constitue une communauté humaine, se tisse un récit des origines qui vise à sacraliser les valeurs de cette communauté. Les cérémonies du 14 juillet ou du 11 novembre, le Panthéon et l'ensemble de ce qui s'est transmis depuis la Troisième République sous le nom d'Histoire de France, sont assez de témoignages éloquents : on a fait de Vercingétorix et de Jeanne d'Arc les saints patrons d'une France éternelle qui n'existait même pas de leur temps, puisque la nation telle qu'elle s'inscrit dans l'imaginaire collectif, autour d'un territoire et d'une langue, est une création bien plus récente. Si on continue de raconter la guerre de Cent ans comme un conflit entre Anglais et Français (contre toutes les évidences historiques), c'est bien qu'il est question d'y puiser un gage absolu et d'éternité, tant il est difficile d'admettre la précarité, l'arbitraire, l'incohérence et la fragilité de cette identité (en l'occurrence française) qui joue encore un rôle si grand pour beaucoup de gens. Toutes les nations font de même, et, au-delà, toutes les communautés et toutes les institutions.
Ce qui est si périlleux dans la conscience de l'incommunicabilité de notre contenu psychique, c'est justement la possibilité d'imaginer le contenu psychique des autres, la possibilité d'imaginer que ces contenus soient enfin partagés et que l'autre comprenne enfin qui je suis, parce qu'il percevrait soudain le monde à travers mes yeux ou ressentirait mes émotions. C'est bien parce que l'imagination ne se tient pas dans les bornes de ce que la raison reconnaît comme réelle, voire même comme possible, que la condition humaine est si douloureuse, obligeant à travailler le deuil de ce que nous avons ainsi fait exister.
Qu'on ne s'y trompe pas: ce qui rend le deuil difficile, voire impossible, ce n'est pas tant la perte de ce que l'on était ou avait, que de ce que l'on a jamais pu être ou avoir.
Parce que de toutes les disciplines l'anthropologie est de loin la plus subversive. Ce sont les observations des anthropologues qui viennent toujours menacer les beaux édifices théoriques de la pensée occidentale, qu'ils soient ceux de Descartes, de Locke, d'Adam Smith, de Marx, de Freud, de Husserl, et même, paradoxalement, de ceux qui naissent à l'intérieur même de cette discipline sulfureuse : ceux de Weber, de Durkheim, de Mauss ou de Lévi-Strauss. Comme si la faculté très humaine d'inventer des sociétés plus bizarres les unes que les autres constituait une sorte de défi ultime pour notre modèle de scientificité et de rationalité.
Vingt-cinq ans plus tard, ce n'était plus moi, l'enfant qui sanglotait dans le noir, mais mon fils. Alors, je me suis penchée et lui ai dit : " Oui, l'idée de mourir un jour est effrayante. Mais c'est une pensée trop grande pour toi. Ce n'est ni le moment ni à toi seul de la porter tout entière. Tu as un temps très long devant toi. Cela ne change rien au fait qu'il faille mourir un jour. Mais ne t'inquiète pas, il y a une solution. Ce n'est pas une solution que je peux te donner en une phrase. Elle est complexe, et chacun la trouve peu à peu, à sa manière. Si tu as une belle vie, que tu accumules les belles choses, les beaux souvenirs, les belles amitiés, le vieux que tu seras un jour aura des clefs pour savoir comment vivre ce moment-là. Ce sont des clefs que tu n'as pas encore, que tu ne peux pas avoir aujourd'hui, que tu ne peux même pas imaginer ! Il faut d'abord vivre. On ne peut pas apprendre à mourir avant d'avoir vécu. Laisse au vieux que tu seras un jour le soucis de trouver comment faire. Lui, il saura. Ce sera sa mission. La dernière, la plus difficile, la plus grande. Mais pour le moment, justement, puisque tu es un chercheur de beauté, concentre-toi sur ton violon, tes amis, ta famille, tes dessins, les aventures que nous vivons lorsque nous partons en montagne, les belles histoires que nous lisons, etc. J'étais aussi effrayée que toi. Mais je ne ressens presque plus jamais cette angoisse-là : si ma mort survenait demain, ce serait vraiment bête, car il y a tout ce que je n'ai pas encore fait ou découvert, à commencer par tout ce que je n'ai pas encore eue le temps de vivre et partager avec toi. Mais elle ne pourrait pas me prendre cette incroyable aventure, à la fois si dure et si belle qu'est ma vie. Maintenant, si ça peut continuer, je ne dis pas non! J'ai tellement d'idées, d'envies, et de curiosité pour ce qui va se passer...
On connaît les trois singes dans la tradition chinoise : celui qui se couvre les yeux, celui qui se couvre les oreilles et celui qui se couvre la bouche. Ce serait le moyen d'accéder au bonheur. Malheureusement, ne rien dire est impossible, car ce serait une forme de négation radicale de soi. Tout sujet doit tenir une parole, doit affirmer son existence pour pouvoir la contempler. Mais tenir une parole, c'est prendre le risque de l'angoisse. Suivre le fil de son désir, c'est rencontrer son ont réductible singularité, celle qui révèle au sujet sa solitude et sa méconnaissance de lui même. C'est pourquoi il et bien plus confortable de construire une parole qui donne l'illusion aux autres, et surtout à soi même, qu'elle est identique à la parole collective. (...)
Mais cela a son prix. Il faut alors rester aveugle et sourd à tout ce qui risquerait de dissiper l'illusion. Et, surtout, il faut restreindre sa parole, parvenir à étouffer ce qui fait hiatus avec la parole collective. Ce que n'énonce là, en termes psychanalytiques, c'est le fait que tout groupe humain se constitue en fondant une Loi qui fonctionne grâce au déni et au refoulement.
P. 146-147
Ce que nous visons là, c'est la manière dont nombre de sociétés parviennent à maintenir leur stabilité malgré le caractère aliénant des vies qui sont proposées (imposées ?) aux individus. On ne peut mettre au travail, dans des conditions très dures ou abrutissantes, des franges importantes de la population sans mettre à leur disposition un récit qui leur permet de donner sens au temps, fût-ce par l'attribution d'une valeur symbolique à la répétition. En dépit des bonnes intentions, il semble flagrant que la finalité qui guide aujourd'hui l'organisation du travail ou celle de l'école n'est pas d'abord l'épanouissement de l'individu. Les heures inutiles, ou répétitives, les routines creuses éventuellement nécessaires pour l'entreprise ou l'institution qui les impose, mais vides de sens par elles-mêmes pour l'individu, sont la norme. Comment un être conscient de sa mortalité, du caractère éphémère de son existence, peut-il accepter cela ? Seul un récit peut lui permettre de racheter ces heures.
Aujourd'hui, ce récit se construit beaucoup autour de l'argent. Le temps de chacun aurait un prix dépendant d'un certain nombre de paramètres (notamment ses études) et, à condition qu'il reçoive ce prix, il pourrait vendre son temps sans aucune autre contrepartie. Le temps de certains vaudrait 8 euros de l'heure, pour d'autres 80, pour d'autres encore 800, 8000 ou 80 000, mais la logique est la même : la somme en question rachète intégralement le temps de l'individu. L'école utilise le même argument pour faire accepter l'ennui : on est seulement en présence d'un logique d'investissement à long terme et pas de vente immédiate. Si on décortique ce récit, on s'aperçoit du fait qu'il est tout aussi arbitraire et peu rationnel que n'importe lequel de tous les autres mythes qui l'ont précédé dans d'autres sociétés. Mais peu importe, tant que les individus y croient, il les protège de l'angoisse.
Le surdouement" : une pathologie ?
Et si cette faculté dont on s'est tant émerveillé n'était finalement ... Qu'un symptôme ? Et si ceux qu'on prenait pour des génies n'étaient autres que des individus incapables d'accepter la castration et de renoncer à la toute puissance ? Certes, cela leur confère parfois un avantage dans l'exercice de la réflexion, mais se paye aussi par de la névrose.
Les souffrances et handicaps des "surdoués" ont permis de dresser un tableau qui a largement dépassé l'approche psychanalytique pour conduire de très nombreux psys de toute obédience à considérer la réussite aux tests de QI comme un indicateur clinique.
Cette approche partage avec la précédente l'idée que l'efficience intellectuelle des "surdoués" proviendrait d'un simple mécanisme de surinvestissement libidinal de l'intellect, au détriment du corps, signe que l’œdipe de ces individus se serait mal résolu.
P. 77-78