Carole Geneix vous parle de son roman "
La Mille et deuxième nuit".
Passionnée par la Belle Époque et les Ballets russe, elle se met à écrire "
La Mille et deuxième nuit", son premier roman policier. Elle renoue avec l'esprit du roman populaire dans une histoire à la fois fantaisiste et mélancolique, où l'Europe succombe à ses démons avant de sombrer dans la guerre.
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Elle qui pouvait sans lever le petit doigt séduire la terre entière n'était rien à côté d'un livre.
Drôle d'affaire , tout de même, que cette Mille et Deuxième Nuit. Tant d'eau avait coulé sous les ponts! Il y avait eu la guerre, la Grande, le succès, les femmes, les voyages. Il avait eu de la chance.
C’est l’ heure de la mise à mort. [...]
Igor, en gabardine et gants bordeaux, se tient près du sanglier agonisant. Chiens, montures, cavaliers, tous le regardent en silence. Les fox-hounds
anglais reprennent leur souffle, langue pendante, allongés dans l’herbe poisseuse de sang ; les chasseurs évaluent déjà la beauté du pelage, le poids des défenses, l’étendue des blessures ; les chevaux oublient de piaffer, épuisés de leurs heures de course à fond de train dans les landes saumâtres et les chemins de forêt embroussaillés de ronces, soulagés que les fouets et éperons aient cessé de pleuvoir sur eux.
Le sanglier hagard gratte la terre et souffle mais ne se sauve pas. Igor bande ses muscles. Le sang du pelage déchiqueté par les crocs des chiens goutte sur l’herbe.
[...]
Enfin un homme empoigne son cor et sonne l’hallali.
Igor, l’épieu à la main, démonte. Il n’a pas peur. Tout le monde le regarde. Il est le plus fin chasseur de l’assemblée. [...]
Il s’approche du pourceau et l’empale d’un coup sec, du garrot jusqu’au bas-ventre, puis s’agenouille devant la masse informe et râlante. Il sort un à un les viscères de l’animal encore vivant, concentré, fourrageant au plus profond des entrailles pour en arracher la chair sanguinolente, bas morceaux que les dogues épuisés vont se partager dans le désordre, et maintenant Igor a extirpé avec délicatesse le cœur palpitant, les poumons roses, les boyaux entortillés et les jette au petit bonheur sur la meute en déroute. Certains chiens en reçoivent sur la tête, d’autres, les plus jeunes, jappent au hasard en mordillant les jarrets de leurs voisins. Bientôt, le cadavre déchiqueté est traîné sur des dizaines de mètres par les dogues devenus fous.
Lorsque Igor se relève, [...]. Il s’essuie les mains pleines de sang dans sa pochette de soie et remet ses gants, puis part au galop traquer les chiens agonisants sur la lande et qu’il abattra ou recoudra à vif, si la bête en vaut la peine.
[...]
Le cheval d’Igor, épuisé, a ralenti sa course et trottine en lorgnant les herbes sèches des fossés. Igor aperçoit un chien, au loin, et arrive à sa hauteur. Celui-ci gémit et le regarde, suppliant. Il descend de sa monture et le retourne comme une crêpe. Un intestin rose est sorti du ventre et l’arrière-train est brisé. L’œil est vitreux. Dommage. C’est sa petite Diane, la
plus fine chasseuse de la meute.
Il lui caresse la tête, pensif, et lui tire un coup de pistolet entre les deux yeux. La chienne gémit. Il sourit.
Les fiances du journal n'étaient pas au mieux et la rédaction accusait l'"or juif" d'y être pour quelque choses. Qu'était devenue la France des Lumières et de la tolérance, celle de Voltaire et de Zola dont il était tombé amoureux si jeune ?
Toutes ces années, il avait essayé de se fondre dans la masse, de prendre une allure goguenarde, de parler chiffons, art et progrès à la terrasse des cafés des grands boulevards, de tempêter contre l'Etat et la politique, de commenter sans fin le temps qu'il faisait, comme les français. En vain. Les neiges mortes et les samovars joufflus de sa jeunesse l'emportaient sur l'éternelle grisaille parisienne, lui enserrant la gorge comme dans un étau. Il ne serait jamais Français. Il serait pour toujours le Juif.
Elle s'éloigna, le sourire aux lèvres, surprise. Très étonnant. Elle qui pouvait sans lever le petit doigt séduire la terre entière n'était rien à côté d'un livre.
Un Russe. C’était la première fois qu’elle en rencontrait un. Il n’avait pas le type slave, ça non. Mais une grâce, quelque chose de différent des Français, si gros, si chauves, si petits ! On aurait dit une créature sortie tout droit des livres qu’il lisait toute la journée. Il portait même un des costumes de Shéhérazade, des Ballets russes. La Russie, quel beau pays !
Elle était épuisée.
Épuisée de faire l’idiote, de courir dans cette farandole sans fin qu’elle appelait sa vie.
Sa vie, qui tout à coup n’avait plus de sens du tout.
Sa vie, comme un vide, un néant, un zéro, un rien. Une ronde dont la tête cherchait à retrouver la queue pour mieux la mordre et, au lieu d’aller dans une direction donnée, se ronger de l’intérieur.
Tu verras, Dimia, on s'habitue à tout. Même a ce qu'on haut le plus au monde, pourvu que ce soit recouvert de velours.
Il semble être un homme à l’esprit faible, sensible et loyal. Un romantique du siècle dernier. Et qui paraissait sincère en défendant sa maîtresse. Plutôt séduisant. Un beau gosse, ça ne tue pas. Et ça expliquerait pourquoi il a passé la nuit avec une inconnue. L’histoire se tient.